31 : Trahison

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Quand elle rouvrit les yeux, Alicia n'était plus dans le salon, mais dans la chambre aux couleurs pastel. Le soleil blafard de La Luna traversait timidement les carreaux des fenêtres cintrées. Et, comme toujours, aucun chant d'oiseau ne fendait le ciel pour annoncer le matin.

– C'est pas vrai ! Je me suis endormie, souffla-t-elle en se frappant le front.

Étrange, ce n'était pas la première fois qu'elle s'endormait comme ça, sans crier gare. Et puis comment avait-elle atterri dans sa chambre ?

– Le comte t'a portée ici très tôt ce matin. T'imagine un peu la cata s'il m'avait vu ?! Pourquoi est-ce que tu me laisses traîner sur cette coiffeuse au lieu de...

Alicia retourna le Livre pour le faire taire. Elle savait qu'il avait horreur de ce recours « abusif et extrêmement humiliant ». Quand elle le remettrait à l'endroit, il ne manquerait pas de revendiquer impérieusement sa liberté d'expression, revendication dont Alicia se rirait sans l'ombre d'un remord.

La jeune fille se prépara hâtivement, enfila une grande capeline et partit à la recherche du comte. Elle le trouva dans le hall. À sa grande surprise, il se précipita vers elle d'un pas guilleret pour serrer sa main dans les siennes.

– Mademoiselle Meril, préparez-vous à triompher !

Ce contact inattendu la fit rosir jusqu'aux oreilles. Il sembla réaliser son audace car il relâcha aussitôt son étreinte.

– Cette nuit, j'ai essayé de dormir. Seulement quelques minutes évidemment, il ne faut pas tenter le diable. Et devinez quoi ? Pas le moindre cauchemar. Rien.

Elle l'interrogea, peinant à contrôler le sourire niais qui gonflait ses pommettes :

– Vous savez pourquoi il ne s'est rien passé ?

– Sans doute parce que vous êtes un anti-magique d'une puissance incroyable, repartit le comte.

Les yeux d'Alicia lui lancèrent des éclairs.

– Je pensais que c'était parce que vous aviez passé une bonne soirée.

Le comte éclata de rire. Ils continuèrent à s'envoyer des piques sur le même ton goguenard toute la journée. La rancœur et la méfiance qu'Alicia éprouvait s'effritaient encore un peu plus. Après tout, comme disait le Livre, peut-être que les choses allaient s'arranger. Il suffisait d'être patiente.

– Enfin, ne vous réjouissez pas trop vite, lança le comte. Il y a d'autres choses toutes aussi dangereuses que moi qui rôdent quand la nuit tombe, croyez-moi.

Alicia se rembrunit :

Des choses comme quoi ?

– Oh, ça ! Vous n'allez pas tarder à le savoir.

*

En se promenant dans le jardin qui commençait à se revêtir d'ombres, le souvenir du puits ressurgit. Sa trêve avec le comte ne suffisait pas pour l'empêcher d'y retourner. Le cœur battant, elle s'y précipita, à travers l'air givré de décembre. Il y avait quelque chose d'amusant et d'hypnotique dans cette liaison incroyable vers l'extérieur. Pendant un long moment, son esprit resta absorbé par ces bribes de conversations qui lui parvenaient chaotiquement. Rien de très concluant. Un tour de cadran plus tard, Alicia estima qu'il était grand temps de rentrer : s'attarder un peu plus risquerait d'éveiller les soupçons du comte. En haut, la lune jaunâtre grimpait à une allure folle au milieu de la toile trouée de la forêt. Et chaque branche semblait lui arracher un peu des lambeaux colorés du jour pour mettre à nu son teint diaphane. Une belle nuit s'annonçait, sans l'ombre d'un nuage.

Le Conte de la LunaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant