VI

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Il y avait bal travesti, chez les Saccard, le jeudi de la mi-carême. Mais la grande curiosité était le poème des Amours du beau Narcisse et de la nymphe Écho, en trois tableaux, que ces dames devaient représenter. L'auteur de ce poème, M. Hupel de la Noue, voyageait depuis plus d'un mois, de sa préfecture à l'hôtel du parc Monceau, afin de surveiller les répétitions et de donner son avis sur les costumes. Il avait d'abord songé à écrire son œuvre en vers ; puis il s'était décidé pour des tableaux vivants ; c'était plus noble, disait-il, plus près du beau antique.

Ces dames n'en dormaient plus. Certaines d'entre elles changeaient jusqu'à trois fois de costume. Il y eut des conférences interminables que le préfet présidait. On discuta longuement d'abord le personnage de Narcisse.

Serait-ce une femme ou un homme qui le représenterait ? Enfin, sur les instances de Renée, il fut décidé que l'on confierait le rôle à Maxime ; mais il serait le seul homme, et encore Mme de Lauwerens disait-elle qu'elle ne consentirait jamais à cela, si le petit Maxime ne ressemblait pas à une vraie fille ». Renée devait être la nymphe Écho. La question des costumes fut beaucoup plus laborieuse. Maxime donna un bon coup de main au préfet, qui se trouvait sur les dents, au milieu de neuf femmes, dont l'imagination folle menaçait de compromettre gravement la pureté des lignes de son œuvre.

S'il les avait écoutées, son Olympe aurait porté de la poudre. Mme d'Espanet voulait absolument avoir une robe à traîne pour cacher ses pieds un peu forts, tandis que Mme Haffner rêvait de s'habiller avec une peau de bête. M. Hupel de la Noue fut énergique ; il se fâcha même une fois, il était convaincu, il disait que, s'il avait renoncé aux vers, c'était pour écrire son poème « avec des étoffes savamment combinées et des attitudes choisies parmi les plus belles ».

— L'ensemble, mesdames, répétait-il à chaque nouvelle exigence, vous oubliez l'ensemble... Je ne puis cependant pas sacrifier l'œuvre entière aux volants que vous me demandez.

Les conciliabules se tenaient dans le salon bouton d'or. On y passa des après-midi entiers à arrêter la forme d'une jupe. Worms fut convoqué plusieurs fois. Enfin tout fut réglé, les costumes arrêtés, les poses apprises, et M. Hupel de la Noue se déclara satisfait. L'élection de M. de Mareuil lui avait donné moins de mal. Les Amours du beau Narcisse et de la nymphe Écho devaient commencer à onze heures. Dès dix heures et demie, le grand salon se trouvait plein, et, comme il y avait bal ensuite, les femmes étaient là, costumées, assises sur des fauteuils rangés en demi-cercle devant le théâtre improvisé, une estrade que cachaient deux larges rideaux de velours rouge à franges d'or, glissant sur des tringles. Les hommes, derrière, se tenaient debout, allaient et venaient. Les tapissiers avaient donné à dix heures les derniers coups de marteau. L'estrade s'élevait au fond du salon, tenant tout un bout de cette longue galerie.

On montait sur le théâtre par le fumoir, converti en foyer pour les artistes. En outre, au premier étage, ces dames avaient à leur disposition plusieurs pièces, où une armée de femmes de chambre préparaient les toilettes des différents tableaux.

Il était onze heures et demie et les rideaux ne s'ouvraient pas. Un grand murmure emplissait le salon. Les rangées de fauteuils offraient la plus étonnante cohue de marquises, de châtelaines, de laitières, d'espagnoles, de bergères, de sultanes ; tandis que la masse compacte des habits noirs mettait une grande tache sombre, à côté de cette moire d'étoffes claires et d'épaules nues, toutes braisillantes des étincelles vives des bijoux. Les femmes étaient seules travesties. Il faisait déjà chaud. Les trois lustres allumaient le ruissellement d'or du salon.

On vit enfin M. Hupel de la Noue sortir par une ouverture ménagée à gauche de l'estrade. Depuis huit heures du soir, il aidait ces dames. Son habit avait, sur la manche gauche, trois doigts marqués en blanc, une petite main de femme qui s'était posée là, après s'être oubliée dans une boîte de poudre de riz. Mais le préfet songeait bien aux misères de sa toilette ! il avait les yeux énormes, la face bouffie et un peu pâle. Il parut ne voir personne. Et, s'avançant vers Saccard, qu'il reconnut au milieu d'un groupe d'hommes graves, il lui dit à demi-voix :

La curée - Émile ZolaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant