15 décembre 1932
Dans 10 jours, Noël sera fêtée à travers tout le pays mais pas chez Jeffrey. Cette année, un train qui a déraillé un peu plus au nord lui a enlevé ses parents et il n'a aucune envie de faire la fête, il restera seul dans ce qui était, jusqu'il y a peu, la maison familiale. Familiale... Il sait qu'il ne devrait plus utiliser ce mot, sa sœur étant partie s'installer à Boston avec le médecin qu'elle s'est trouvée l'année passée. Il n'y a plus du tout de famille dans ces lieux, si ce ne sont les fantômes que Jeffrey s'invente pour lui tenir compagnie.
Jeffrey 19 ans et, même si sa famille était plutôt aisée, il n'est qu'un simple ouvrier dans l'entreprise de construction qui occupe pas mal de gens dans le coin. L'école n'a jamais été son lieu de prédilection et il ne pense pas être, un jour, aussi riche que l'ont été ses parents. Mais peu importe pour lui, Jeffrey un gars plutôt bien bâti qui continue à se développer grâce au travail qui lui est confié jour après jour. C'est un métier dur, éreintant, lourd et il s'y tue le plus possible pour ne penser à rien d'autre. D'allure virile, il se la joue faussement macho pour cacher l'un des aspects de sa personnalité qu'il ne souhaite dévoiler à personne. Si les filles qu'il côtoie, le soir, au bar, après le travail sont assez nombreuses à lui tourner autour, ses yeux préfèrent se poser sur ses collègues de chantier.
Alors, si ce n'est déjà pas facile de passer Noël seul, l'hiver est loin d'être sa saison préférée. C'est l'été qu'il se sent le plus heureux quand ses coéquipiers travaillent torse nu sous la chaleur intense de ce petit coin de Californie. Dès que la sueur met en évidence les traits saillants de leur muscles rebondis, il doit déployer des trésors de discrétion pour ne pas se faire pincer. Il y arrive plutôt bien, pas comme Edward Molson. Ce gars, plus efféminé que la vendeuse du drug-store, subit continuellement les quolibets et injures de la plupart des hommes et même des femmes du village. Cette situation inspire de la peine à Jeffrey. En fait, il aimerait l'inviter à boire un verre un de ces quatre. Pas pour qu'il se passe quelque chose entre eux, non, c'est la virilité qui lui plait et il ne sent pas du tout attiré par Edward. Non, il voudrait simplement le réconforter, lui dire qu'il le comprend et qu'il n'y a pas de honte à ne pas être un homme comme la société voudrait qu'il soit. Il a envie d'être son ami mais, jamais il n'oserait passer ce cap tant la peur que cela démasque sa vraie nature l'en empêche. Il jouit d'une bonne réputation et il ne veut pas que l'on puisse, en les voyant ensemble, imaginer quoi que ce soit à son égard. Même si, finalement, c'est un peu déjà en train de se produire tant la question au sujet de sa solitude fait débat au travail.
Jeffrey est suis ce qu'on peut appeler un bel homme, un beau parti, si vous voulez. Pourquoi n'a-t-il pas de petite amie, pourquoi refuse-t-il sans arrêt les avances des anciennes copines de l'école ? Pourquoi ne participe-t-il pas aux discussions potaches sur la longueur des pénis de hommes du groupe, sur le nombre de fois que l'on se masturbe ou que l'on couche avec une fille sur une semaine ? Les soirées alcoolisées de l'équipe sont systématiquement l'occasion, pour la plupart, de lancer ce genre de badinages où tous les mecs exagèrent et se la racontent, sauf Jeffrey. Jusqu'ici, tout le monde devait se dire que le chagrin l'empêchait de penser aux filles mais, après presqu'un an de deuil, on se demande s'il n'y a pas autre chose.
Il voudrait tellement vivre dans un autre monde où il ne serait pas anormal que deux hommes s'aiment et aient des relations sexuelles. Il essaie de chasser cette idée de sa tête et il monte se coucher. Il est épuisé de sa journée de travail qui s'est achevée sur la toiture de ce qui sera bientôt la nouvelle école du village. Une fois rentré à la maison, c'est le toit de la grange qui avait besoin de Jeffrey. Le vent a réussi à soulever quelques plaques ondulées et, s'il ne voulait pas que la vieille Ford de papa ne soit trop abimée par la neige qui en recouvrait déjà la capote, il ne fallait pas tarder à réparer. Il est fourbu mais, étrangement, il ne pense pas trouver facilement le sommeil ce soir. Trop fatigué que pour pouvoir dormir comme disent certains. Mais, au fond de lui, il ne pense même pas que ce soit ça le problème. Il a cette sensation que décrivent les personnes chez qui l'électricité a été récemment installée pour la première fois : ils disent ressentir le passage du courant dans les gaines enfouies dans leurs murs. D'aussi loin que Jeffrey se souvienne, ses parents ont toujours eu l'électricité ici et il n'en a jamais souffert. C'est vraiment bizarre.
Il sait, cependant, ce qui va l'aider à trouver le sommeil, il soulève un peu son matelas pour en extraire des photos d'hommes dénudés qu'il a trouvées sur la route proche de chez lui. Une caisse en bois s'était détachée de la roulotte d'un marchand ambulant et malgré ses signes et ses appels, il ne s'était pas arrêté. Il n'a jamais fait demi-tour alors, Jeffrey a tout gardé. Entre des lampes à pétrole et quelques livres sur l'extraction du charbon, il y avait une dizaine de ces clichés à ne pas mettre entre toutes les mains. Mais quel doux bonheur que de se laisser porter par de douces pensées érotiques avec ces éphèbes musclés dans la tête. Il rougit à l'idée que que ce soient dans une autre partie de son corps et il ne faut pas longtemps pour que l'orgasme l'emporte dans les bras de Morphée. Il s'est toujours demandé à quoi il pouvait bien ressembler celui-là, il doit sans doute avoir un visage doux, des bras dans lesquels on a envie de se blottir et un regard hypnotisant.
Le sommeil, qui s'est imposé rapidement, finalement, n'est pas de tout repos. Jeffrey a l'impression que son lit s'envole, non pas porté par le vent d'une tornade mais plutôt par un tourbillon de courants électriques. Comment cela peut-il être si réel ? Il n'est même pas certain d'avoir vraiment ouvert les yeux ou si c'est toujours le rêve qui continue mais, il voit clairement se dessiner un halo bleu autour de lui et le matelas qui s'est dangereusement rapproché du plafond. Au moment où il referme les yeux pour se protéger du plâtre contre lequel il va s'écraser, Jeffrey sens qu'il passe à travers celui-ci et il perd aussitôt connaissance.

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A temps pour Noël
Romance***** Attention : ce récit est en cours de réécriture afin de corriger une erreur. J'enlèverai cette mention quand ce sera terminé ******* Jeffrey s'apprête à traverser la période de Noël seul. Un train lui a récemment enlevé ses parents, il n' a pa...