Chapitre 10

18 2 0
                                    


Cela fait maintenant deux jours que le message a été gravé sur la poutre du grenier :

"Je vous aime, je sais que vous voyagez dans le temps, comment vous aider à me retrouver ?"

Sous la phrase, Jeffrey a ajouté les trois premières lettres de son prénom. Il comptait l'écrire en entier car ses parents n'étaient pas très familiers avec les diminutifs mais, les yeux pleins de larmes, il s'était arrêté.

- Jef, ils vont bien finir par te répondre.

- Non, il n'y a plus aucun espoir, on aurait dû avoir la réponse instantanément puisque pour nous, présent ou futur, l'enchainement de ce qui s'y passe n'est pas coordonné. J'ai bien réfléchi et c'est la seule conclusion possible.

- Arrête un peu de pleurnicher, on n'y connait rien à ces voyages dans le temps. Il doit y avoir des paramètres qui nous échappent et peut-être que le temps est bien plus relatif qu'on ne le pense et qu'ils en ont justement besoin, du temps.

- Greg, arrête de le harceler. Ça ne doit pas être facile pour lui. Je te rappelle qu'il vient lui-même d'une époque totalement différente de la notre, il doit composer avec tant de nouveautés. C'est un vrai chamboulement !

- Oui, ben n'empêche que c'est une chochotte à pleurer tout le temps.

- C'est bon, laissez-moi vous deux. Foutez-moi la paix.

D'un bond, Jeffrey quitte alors le salon dans lequel ils étaient réunis tous les trois et sort de la maison non sans claquer la porte.

- Il est jaloux ton petit copain on dirait.

- Ce n'est pas mon petit copain. Enfin, je veux dire...

- Tu as couché avec non ? C'est soit ton copain, soit un plan cul. Et vu comment il est jaloux de moi, c'est pas un plan.

- Arrête, c'est pas si simple.

- Si c'est pas ton copain et comme je ne le suis plus non plus, tu ne verras pas d'inconvénient à ce que je me le tape. Ça doit être génial cette époque libérée pour lui. De là, ou plutôt de quand, il vient... Je vais lui proposer de continuer son initiation d'ailleurs.

- Arrête, c'est toi qui est jaloux en fait. 

- Mais, bordel, évidemment que je le suis. Je t'aime Jo... J'avoue j'ai déconné mais parce que je t'aime trop. Si on ne s'aimait plus, si je t'avais trompé, si je t'avais battu ou même si on baisait plus, je comprendrais, mais là, tu me vires parce que je t'aime trop.

- Tu tournes les choses à ta manière mais je n'en pouvais plus de ce que tu me faisais ressentir, j'avais l'impression d'être un monstre. Voilà, tu me considérais comme un monstre qui te trompait, au bout d'un moment, c'est usant. C'était de la torture psychologique et j'avais le droit à autre chose. 

Greg s'est à présent rapproché de Jonas et il lui tient la main.

- J'ai compris ça et je te demande pardon, je suis tellement désolé de ce que je t'ai fait subir. Je m'en rends compte. Mais, s'il n'y qu'une infime chance de pouvoir redémarrer à zéro, dis-le moi. Je t'en supplie, je t'aime tellement et te voir avec Jeffrey, ça me fait tellement mal.

Greg se penche au même moment pour tenter d'embrasser Jonas, leurs lèvres ne sont qu'à quelques centimètres l'une de l'autre. Jeffrey, qui observait la scène depuis tout ce temps par une vitre de la maison, manque de tomber à la renverse. C'est donc ça, cette époque ? A quoi bon être libre d'aimer un garçon quand on en est un soi-même si c'est pour tant de cruauté. Du revers de la main, il décide qu'il essuie ses larmes pour la dernière fois et fonce en direction du petit bois qui borde la route.

- Arrête Greg. J'aimerais qu'on reste amis mais si ce n'est pas possible pour toi, je vais te demander de partir. Ce qui me trouble, ce sont nos souvenirs, nos bons moments passés ensemble. Si je suis encore amoureux, ce n'est pas de toi, pas la version en face de moi mais celle d'avant les problèmes. Et quoi que tu puisses dire, quoi que je puisse faire, rien ne ramènera notre ancien "nous". Je veux t'avoir comme ami, sincèrement mais, là, maintenant, je me sens bien avec Jef. J'ai pas envie de me justifier pour ce que je ressens, je ne contrôle pas tout et je ne sais pas où ça va me mener avec lui, ni même si on sort vraiment ensemble. Et quand tu moques sa sensibilité, c'est aussi la mienne qui tu tournes en dérision car, ses larmes, je les partage.

- Hum !

Jonas et Greg se figent en voyant qui vient de tousser pour signaler sa présence. L'homme qui était venu l'autre jour à la recherche de Jeffrey se tient à présent debout dans le salon, vêtu d'une cape cirée noire qui lui recouvre tout le corps, d'un chapeau fabriqué dans la même matière et ruisselant d'une pluie qui a dû être battante. Alors qu'en ce mois de décembre, certes froid, il fait plein soleil dehors.

- Désolé d'interrompre votre discussion mais je ne dispose que de peu de temps. Où est mon fils ?

- Euh, vous, je... vous ne l'avez pas croisé, il vient de sortir ?

- Je ne suis pas passé par la porte d'entrée... C'est compliqué à vous expliquer mais je...

Greg l'interrompt :

- Non, on a compris, vous venez d'apparaitre dans le salon. Jonas, va couper le courant tout de suite.

- Hein ? 

- Ca ne sera pas suffisant jeune homme. Il y a de l'électricité partout à cette époque. Là, dehors, le fil du réseau public est trop proche. Mais c'est bien vu. C'est l'électricité qui me fait voyager. Et son instabilité ou mon manque de capacité à la gérer qui me fait faire des bons temporels non controlés.

Jonas a une idée tout d'un coup.

- Greg, tu te souviens notre projet d'élever nos propres poules pour les oeufs ? L'embryon de cage qu'on avait commencé à faire doit encore se trouver dans la remise. Ça pourrait faire office de cage de Faraday. 

- Cage de quoi jeune homme ?

Greg entame un petit rire narquois :

- Vous ne maitrisez en effet pas grande chose. Une cage de Faraday, c'est une sorte de champs de protection électromagnétique. Pas sûr que notre cage à poule soit très efficace mais on peut essayer.

- Restez-là, j'y vais et j'essaie de trouver Jeffrey  en même temps.

- On a pas le temps Jo, je m'occupe de ton amant, toi de la cage.

- Amant ?

Jonas se fige au son de la voix du papa de Jef.

- Euh, c'est une longue histoire... Mais vous deviez vous douter de quelque chose concernant votre fils non ? Et je suppose que vos sauts temporels vous ont permis de comprendre tout ça, des principes pas nécessairement très clairs pour vous à votre époque d'origine.

- Nous en parlerons plus tard, avec lui. Dépêchez-vous.

Le ton sec et glacial ne laissait aucun doute sur la nature de la discussion qui devrait suivre. Mais Jonas est bien décidé à servir d'avocat de celui pour qui son coeur commence à battre la chamade. Et cette nouvelle mission ne fait qu'augmenter ses sentiments pour lui. Mais il faudrait d'abord arriver à le retrouver pour ça.

- Greg, retrouve-le et sois gentil avec lui, je t'en supplie.

Les deux ex sortent en même temps de la maison, laissant leur hôte seul dans le salon. 

- Bon, déjà, il n'est plus dans les parages.

- J'espère pour toi qu'il n'est pas parti seul vers la ville !

- Va chercher ta cage de Faraday, je vais plutôt aller vers le bois. Il était fâché, pas sûr qu'il se soit dit que la ville était le meilleur endroit pour lui.

Tout en se dirigeant vers la remise, Jonas sent monter en lui une inquiétude folle. Le bois, le ravin, et si...




A temps pour NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant