𓆸 PROLOGUE 𓆸

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Gare de Shibuya, 23h50.

Silence.

Le train vient de partir et je l'ai regardé, sans avoir eu l'effleurement d'idée d'y monter. Sa vitesse balaie mes cheveux devant mon visage, gonflant ma frange noire que je laisse pousser bien que ma mère réprimande cette idée.

L'air frais que provoque la machine survole mon épiderme d'assez près pour que mes poils s'hérissent. Je rentre de la bibliothèque après avoir étudié deux heures— jusqu'à ce que la bibliothécaire vienne me voir, s'excusant en inclinant la tête pour me prévenir qu'elle allait fermer le bâtiment— sur des matières où mes parents jugent mes notes insuffisantes. Ils veulent que leur fille excelle sur tout.

Je suis fatiguée, fatiguée de produire autant d'efforts. Mon corps tremble à cause du froid, la pluie continue de tomber dehors et il y a peine cinq minutes j'étais dessous, marchant vers la gare pour qu'au final regarder mon train partir.

Sur les écrans d'affichages il est indiqué que le prochain passait dans dix minutes. Mes yeux s'attardent sur les deux filles assises de manière apathique sur les sièges en métal. Elles sont habillées en noir, de leur débardeur à leurs bottes. Leur respiration sifflante montre qu'elles viennent de courir, vite.

— Miwuko t'as une cigarette ? Demande celle accoudée à l'épaule de son amie, sa jambe gauche croisée sur l'autre.

Celle-ci lui répond non de la tête avant de soupirer longuement.

Ce genre de soupir que l'on pousse après une longue journée et que notre corps lutte contre la fatigue.

Je ne les quitte pas des yeux, non pas par malsanité mais parce qu'elles sont ma source de divertissement momentanée que mon cerveau recherchait.

— Et toi tu en as ?

Cette fois-ci, c'est à moi qu'elle s'adresse puisque je suis la seule autre personne présente dans ce tunnel éclairé aux lumières jaunies, à tel point que sa voix résonne sur tout le quai. Je porte la main à la poche de mon jean bleu marine et en sors un une cigarette. Je fixe l'objet de sa demande dans le creux de la main, la tourne dans tous les sens possibles pour aucune raison.

Puis mes jambes me guident à quelques mètres d'elle. Son visage à l'expression abattue, par de l'alcool, vue l'odeur de bière qu'elle dégage. Elle a la peau si pale que les veines de ses jambes apparaissent violettes. Elle me regarde en redressant la tête dans l'attente. Après plusieurs secondes de silence, je tends ma main vers elle pour lui donner sa cigarette. Elle hoche la tête pour me remercier et les cheveux qui étaient coincés derrière son oreille tombent à cause de son mouvement. Ils sont sombres comme la suie.

La jeune femme saisie un briquet qu'elle sort de sa poche et allume sa cigarette, elle aspire quelques lattes avant de l'expirer très lentement. En voyant le panache de fumé arrivé, je me décale pour éviter que l'odeur âcre imprègne mes vêtements. En vérité l'effluve ne me dérange pas mais j'ai bien trop peur de la réaction excessive de ma mère s'il elle l'apprenait. Alors je fume en cachette et mâche par la suite des chewing-gums pour la masquer lorsque je rentre.

Soudain une voix dans les haut-parleurs résonnent. Elle annonce l'entrée en gare du train en direction d'Asakusa.

Le duo de filles jusqu'à présent avachies sur les sièges gris, se redressent et celle qui m'a demandé une cigarette aide son amie à se révéler. La dénommée Miwuko semble bourrée.

— Aide moi un peu ou on va rater ce train aussi, déclare la plus lucide des deux.

Cette dernière émet un son inintelligible et se laisse assister par son amie.

Sa cigarette est coincée entre ses lèvres pendant qu'elle passe le bras de son amie, dont le chignon était décoiffé, autour de son épaule et la guide en direction de la porte ouverte du train. Je la vois la poser le plus facilement qu'elle le peut sa camarade sur un des sièges et ensuite elle jette sa cigarette sur le quai après l'avoir éteint avec deux de ses doigts qu'elle vient d'humidier avec sa langue.

Une voix annonce la fermeture des portes alors elle me jette un dernier regard, aimable et hoche la tête comme un signe d'au revoir. Enfin le train quitte la station en accélérant.

A présent, je suis de nouveau seule, je n'entends que la pluie qui continue de tomber dehors. Mes vêtements sont trempés, mon sweat gris ample laisse entrer l'air froid par ma nuque et le tissu de mon jean ne sèche pas.

J'espère que le trajet sera lent et long pour me permettre d'oublier que je retourne dans mon foyer où depuis des mois, je ne me sens plus moi-même. Il est peu animé et peu de joie s'en dégage. Je le trouve fastidieux. J'en ai les organes qui se resserrent en y pensant. J'ai du mal à déglutir, la salive reste coincée au fond de ma gorge.

Enfin le son féminin des enceintes revient à mes oreilles en annonçant qu'un train arrivait et qu'il fallait s'éloigner du bord. C'est mon train. Toute fois j'hésite encore à monter. Je peux rentrer à pied même si cela me prend plus de vingt minutes. Cependant je ne suis pas prête à affronter la pluie actuelle.

Puis lorsque que la machine s'arrête et que ses portes s'ouvrent sans un bruit, j'avance lentement, le pas moue. Mon regard s'attarde sur les vitres, où l'on aperçoit mon visage, mon teint est terne, mes cheveux emmêlés et des gouttes ruissellent tantôt sur mon front tantôt sur mon coup.

Finalement lorsque les portes se referment, mon corps était dans le train mais mon esprit ailleurs. On passe dans un tunnel, les lumières éclairent le wagon vide, sans compter ma présence. Le son du glissement du train sur les rails alourdit mes paupières que je lutte à garder ouvertes pour ne pas manquer mon arrêt.

Une étrange envie de pleurer me vient mais je la refoule en ravalant les larmes qui me brûlent les yeux. C'est inutile et ridicule.

DISORDEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant