Chapitre 2

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Un mois plus tard arriva Noël. Je n'aimais pas Noël.
Mais puisqu'il le fallait, et que mes parents adoraient cette fête, je me pliais en soupirant aux coutumes classiques que je vois chaque année. Comme chaque année, on se rendait tous et toutes dans l'église, qui n'était éclairée que par des bougies ce jour-là, puis on se tenait la main en chantant la gloire du Père de l'Église, et celle de Dieu aussi.
Bien que ce moment était très peu attirant, mais supportable, j'aimais beaucoup moins la suite. Comme toujours, venait le moment où un agneau ou deux étaient égorgés sur l'autel, sous les clameurs de la foule. Déjà que voir un animal tué ne me plaisait guère, j'avais la nausée quand le Père, ou le Messager de Dieu, comme on pouvait l'appeler parfois, venait nous apposer une trace de sang sur le front, en nous demandant de réciter des paroles pour exprimer notre allégeance à sa personne et à l'Eglise.

À part moi, et d'autres adolescents, cela ne semblait rebuter personne, si ce n'était Monica, une des femmes dans les derniers bancs, que je connaissais très peu. Mes parents, eux, semblaient extatiques lors de ce genre de cérémonie, alors je jurai aussi loyauté au Messager, ne souhaitant pas créer du grabuge.

Les jours continuaient ainsi, tantôt à l'École, ou à la messe suivie de la Filiation, jusqu'au jour où, lors d'une de nos Épreuves de Courage, je proposai ce que j'avais toujours voulu tenter : explorer une maison abandonnée. Mes amis acquiescèrent derechef, visiblement intéressés par l'idée.
« Mais, commença Paul, comment trouver une maison abandonnée ? Il n'y en a pas à La Roche Seigneure…
– C'est simple, répondit Darius, on n'a qu'à aller chez Sandrine ! Ça fait des semaines qu'elle est partie maintenant, il doit y avoir des toiles d'araignée et des portes qui grincent de partout ! »

Et c'est ainsi que nous partîmes en pleine nuit dans l'ancienne maison de celle qui s'en était allée, faute d'une meilleure option. Et même si cela n'était abandonné que depuis un peu plus d'un mois, rien que la façade nous donnait des frissons. Je ressentis même un mal de ventre inexplicable en ouvrant simplement le portail, comme si mon corps avait réagi plus vite que mon esprit à quelque chose. Mais, galvanisé par la présence des autres, je mis cela sur le compte de mon dîner et avançai sans hésitation.
Evidemment, à l'intérieur, pas un bruit ou une lumière, mis à part nos lampes torches et nos voix. Pour ne pas aider, Darius s'amusait à faire peur à Paul, tandis que je menais la marche dans le corridor. La cuisine, la chambre, le bureau, nous avions bien exploré l’endroit pendant quinze minutes.
« Dites, lança l'un des jumeaux, vous trouvez pas que ça fait très rempli, pour la maison de quelqu'un qui a déménagé ? Il y a encore plein de choses.
– Tais toi Eudes ! » rétorquais-je, trop occupé à essayer d'entendre le moindre son qui sortirait de l'ordinaire, presque comme si je m'attendais à croiser des fantômes ou d'autres apparitions.

Soudain, au moment où nous revenions sur nos pas, quand nous essayions au mieux de marcher à pas de loup, le bruit d'un objet lourd qui tombe résonna dans toute la vieille bâtisse, faisant presque trembler tout l'endroit. Face à un tel vacarme dans notre mutisme total, et malgré nos surnoms de Têtes Brûlées, nous criâmes de peur comme une seule voix, avant de parcourir à toute allure la dizaine de mètres qui nous séparaient de la porte, puis de partir en direction d'une planque suffisamment éloignée. Après trois longues minutes à haleter, pantelants, je prononçai les premiers mots après cette rencontre.
« O-On a tous entendus ? Il y avait quelqu'un !
– Ouais…reprit Joachim. Et…je crois que j'ai entendu une voix d'homme aussi, mais je n'ai pas compris ce qu'il a dit. O-On rentre ? »

Aucun n'objecta, et je pouvais affirmer avoir extrêmement mal dormi ce soir là.

Le lendemain, la routine du lundi reprit, mais je pus remarquer quelques changements. Cette fois-ci, je croisai Monica sur le chemin de l'École. Elle semblait très agitée, perdant son regard sur le sol en marmonnant sans arrêt, comme si une chose terrible allait lui arriver plus tard, et qu'elle tentait au mieux de l'oublier tout en la ruminant incessamment. Mais lorsque je lui demandai, elle secoua la tête en disant que c'était personnel, alors je n'avais pas creusé davantage.
La deuxième anomalie dans mes journées très millimétrées fut qu'en classe, Charlotte se mit à nous parler.

Le Village ParfaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant