Le Village Parfait

Chapitre 4 et Épilogue

Demander un cadeau pour mon anniversaire fut une tâche plus ardue que prévue, après les déclarations que j'avais prononcées à l'encontre du maître du village. Cependant, après beaucoup d'efforts et de promesses, mes parents cédèrent.
« On dira au Père de t'acheter ça pour ton anniversaire, d'accord.
- Merci, vous êtes les meilleurs ! Je le remercierai aussi ! »

Ce mensonge me fit mal, mais j'allais souvent devoir mentir pendant les jours qui suivaient. Après cela, j'ai pu régler le problème suivant : prendre des photos de toutes les choses glauques ou anormales qui se passaient dans le village, sans que cela ne soit suspect. Pour cela, j'avais simplement proposé à mes professeurs que je faisais un "reportage" afin de le présenter à la fin de l'année ; en mettant l'accent sur le développement professionnel et sur l'intérêt d'apprendre à me servir de la vidéo de cette manière, ma demande passa inaperçue. Mon périple photographique pouvait commencer, et je me mis à immortaliser chaque messe à laquelle j'assistais, et chaque bâtiment qui composait le village : je pus même faire une entrevue filmée avec le Père, afin d'accroître les preuves sous son nez.

Tous les jours, en plus de mes photos, je récupérais des matériaux divers, nécessaires à notre grande évasion. Je demandais ou subtilisais de la corde, du tissu, des couteaux, de la nourriture en conserve, des outils variés. Tous les soirs, je retrouvais Charlotte, afin de fabriquer de nouveaux équipements. La corde et le tissu devenaient une tente pour deux, la laine devenait un sac de couchage, et nous apprenions à chasser, pêcher et poser des pièges grâce aux livres de la bibliothèque, ne sachant pas combien de temps nous serait nécessaire pour atteindre la première ville autour de notre foyer.

De façon fortuite, ces moments ensemble nous permirent aussi de nous comprendre, et je me mis à connaître davantage ma partenaire de fuite. De connaissances, en quelques jours à peine, nous étions devenus des bons amis, puis des confidents ; au bout d'un mois de préparatifs secrets, je n'avais aucun mal à considérer Charlotte comme ma meilleure amie. Œuvrer ensemble sur cette évasion nous avait permis de nous ouvrir chacun à l'autre.

« C'est pour ça que je veux faire de la boxe, plus tard, me racontait ma grande amie pendant une de nos soirées de préparations. Je t'apprendrai aussi, pour que tu arrêtes d'être un petit gringalet !
- Je préfère les sports de plein air, répondis-je en volant une confiserie du paquet qu'elle tenait dans ses mains. Surtout l'escalade, quand elle est interdite. »

Ces soirs-là, nous riions sous la lune en racontant diverses idioties, comme deux adolescents qui fuguaient de chez leurs parents. Il existait des moments pendant lesquels, bien que nos mains étaient affairées à la création d'un échappatoire, nos esprits oubliaient la peur de la mort, et l'horreur de la réalité derrière notre foyer.

Le premier mars, nous étions prêts. Ce jour-là, Charlotte avait réussi à obtenir une carte des environs, d'un randonneur qui l'avait perdu dans la forêt ; ce fut cette découverte qui accéléra le départ. Je quittai ma chambre vers vingt-trois heures, armé de mon sac à dos plein à craquer, et portant la montre de Sandrine sur le poignet. Sans me presser, je descendis jusqu'à rejoindre mon amie, elle aussi prête à partir.
« Je mène la marche, commença-t-elle en chuchotant. Normalement, on ne devrait pas avoir de problèmes, mais surveille nos arrières au cas où. On aura pas plus de deux ou trois jours de marche avant d'arriver en ville.
- Ça valait la peine d'avoir appris à chasser, dis donc. »

Je ris doucement de ma propre blague, jetant un dernier regard à La Roche Seigneure, en commençant à marcher. Cet endroit avait beau être le vivier d'une secte dont je ne venais que récemment de découvrir l'ampleur, c'était aussi mon village natal, et l'endroit où j'avais passé toute ma vie. Mes parents, mes amis, tout était là-bas, aussi je m'arrêtai un moment, en regardant Charlotte droit dans les yeux.