Chapitre 2

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Des années auparavant :

D'après la plupart des gens de son village, Mitsuri avait été d'une rare beauté dès la naissance. Non pas que la mère était laide, loin de là, mais simplement que les caractéristiques qui font les belles dames se retrouvent rarement chez les nouveaux-nés. Par là, on entendait des traits raffinés malgré leur rondeur, de grands cils, une jolie petite bouche et une abondante chevelure noire. Mais ce qui avait le plus marqué les esprits étaient ses yeux verts si intenses et pleins de lumière, tellement surprenants pour une enfant aussi jeune, qui plus est soulignés chacun d'un grain de beauté noir sur le haut de la joue, hérités de son père. On s'était rapidement rendu compte que cette apparence n'était pas sa seule particularité...

Un jour, alors qu'elle avait quatorze mois, Mitsuri se trouvait dans la cuisine avec sa mère. Cette dernière avait beaucoup de mal à porter des charges lourdes car elle était enceinte ; et cela, Mitsuri le savait. Alors que sa mère s'approchait du gros pot où macèrent les aliments pour préparer des tsukemonos, la très jeune fillette la devança et souleva la grosse pierre à saumure posé sur la récipient, qui devait pourtant peser à elle seule dans les quinze kilos. Devant un tel miracle, sa mère, qui était pourtant une femme que presque rien n'étonnait, en tomba à la renverse.

Évidemment, ses parents s'inquiétèrent de cette force hors du commun et l'emmenèrent voir un médecin. Après quelques examens, celui-ci en conclut que la fillette n'avait aucun problème de santé particulier. En revanche, sa morphologie était toute unique car sa densité musculaire semblait huit fois supérieure à celle d'une personne qui posséderait la même silhouette qu'elle. Et les surprises ne s'arrêtèrent pas là...

On se rendit rapidement compte que Mitsuri buvait énormément, si bien que sa mère ne put plus subvenir seule à ses besoins. Les parents durent donc acheter trois vaches pour étancher la soif quotidienne de leur fille. Quand la fillette piquait une crise, elle attrapait une des vaches comme s'il s'était agit d'un biberon, la traînait à elle, et buvait à la mamelle.

De plus, Mitsuri réclama très vite autre chose que du lait ; et là encore, son appétit était insatiable. Elle mangeait d'absolument tout dès l'âge de deux ans, et ce, dans des proportions qui auraient suffises à nourrir largement trois sumos. Une fois encore, le médecin rassura sa famille en leur expliquant que ce régime alimentaire allait sûrement de pair avec sa constitution robuste et que cet appétit n'était nullement de la gourmandise, mais un besoin vital pour le bon fonctionnement de ses muscles. Les parents, qui aimaient leurs cinq enfants plus que tout, fournirent à Mitsuri toute la nourriture qu'elle demandait.

Peut-être que sa consommation répétée de botchan dangos et de sakura mochis y était pour quelque chose... quoi qu'il en soit, Mitsuri vit ses cheveux changer progressivement de couleur à partir de cinq ans, pour finalement devenir roses vifs avec le bout des mèches verts chlorophylle à l'âge de six ans. Cette transformation ne surprit même plus ses parents, qui étaient habitués à toutes les bizarreries chez leur fille. Ils trouvèrent simplement qu'elle était encore plus belle ainsi, car la couleur de ses yeux était assortie à celle de ses cheveux.

La jeune fille grandit dans l'idée qu'être forte pour une femme n'était pas un problème, et que son apparence était justement attachante de par sa rareté : la plupart des adultes de son village louaient sa beauté et sa débrouillardise. Elle devint une adolescente aimante, aidante et joyeuse.

Elle se rappelait très nettement le jour où elle avait remis en question tout ce qu'on lui avait toujours dit...

C'était par une journée magnifique, de celle qu'on ne peut avoir qu'au sommet du printemps. Les quelques nuages plumeux formaient des traînées de rouleaux dans le ciel du plus beau des bleus. Les cerisiers étaient parés de leurs premières fleurs, et les oiseaux gazouillaient leur bonheur. Ce jour-là, Mitsuri avait fait particulièrement soigné son apparence : cheveux coiffés noués en trois tresses, deux devant, une derrière ; un large nagoya obi autour de la taille, sur lequel était accroché une broche en forme de trèfle à quatre feuilles ; mais surtout, un magnifique kimono furisode floral en soie damassée qui lui avait été confectionné par sa voisine tisseuse pour la grande occasion de ce jour.

Passés et mémoires, Mitsuri KanrojiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant