Chapitre 5

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Retourner chez moi est une épreuve. Même Grisou n'est pas tranquille. Il ne cesse de renifler chaque recoin et de jeter des regards à la fenêtre, pourtant bien réparée.

Je me fige dans mon salon et déglutis. L'inspecteur Fernand m'a raccompagnée chez moi, ce matin. J'en ai profité pour l'interroger, mais il n'a rien voulu me dire de bien croustillant. Il m'a tout de même expliqué la présence d'un nouveau verrou magique sur ma porte et sur mes fenêtres. Il n'y avait pas de trace d'effraction, ce qui n'est pas pour me rassurer. Comment la créature est-elle rentrée ? Et pourquoi diable s'est-elle jetée par la fenêtre pour fuir ?

— Rassurez-vous, m'indique l'inspecteur, nous avons installé des sortilèges de protection à chaque point d'entrée.

— C'est-à-dire ?

— Si quelqu'un — ou quelque chose — devait pénétrer chez vous sans votre autorisation, il serait immédiatement paralysé.

— Y compris pour les spectres et les goules ?

— Bien entendu.

— Et aussi les enchanteurs ? Ils pourraient le déprogrammer.

— N'importe qui serait paralysé.

— Qu'en est-il de mon chat et de ma meilleure amie ?

L'inspecteur pince les lèvres. Il est dur de lire dans ses prunelles noires ce qu'il pense, mais je me doute que je l'agace. Tant mieux, il n'avait qu'à m'en dire plus sur son enquête !

— Il est évident que vos proches ne seront pas affectés par ces sorts.

Il me salue promptement et quitte à la hâte l'appartement.

Reprendre le cours de ma vie est compliqué. Je dors désormais la porte de la chambre ouverte et m'éveille au moindre bruit. Grisou se colle sans arrêt à moi, quand il n'est pas en train de vérifier chaque pièce de l'appartement. Mes nuits sont animées de cauchemars sur cette matinée d'horreur. Quand je me réveille en sueur, je sens mes cicatrices palpiter et cela me glace d'effroi. Les médecins pensent que ce n'est qu'un effet psychosomatique.

Les deux journées suivantes se découpent entre siestes inopinées devant Netflix, un plat de lasagne en main, entraînements plus exténuants les uns que les autres et séances chez le psy ou à l'hôpital pour surveiller mon état. On tente de gommer mes cicatrices, physiques comme morales, sans aucun succès. Seul le sport me fait du bien : il me permet de me recentrer et d'améliorer mes techniques de combat. Je ne souhaite plus jamais me laisser surprendre.

Mélissa passe le soir, mais le second jour reste moins longtemps que d'habitude. Je comprends rapidement, alors qu'elle ne me le conte qu'à demi-mot, qu'elle s'est trouvé quelqu'un. Elle refuse de me le présenter. « La priorité, c'est toi ! » me déclame-t-elle. Si au début j'étais heureuse de la sentir aussi investie, cela me pèse à présent. Ce dont j'ai besoin, ce n'est pas qu'on me chouchoute, mais de me ressaisir. Et pour cela, il faut qu'on laisse ma vie reprendre son cours habituel ! Quand je le lui explique, elle se rembrunit et boude. Typique. Bah, elle finira bien par entendre raison.

J'entrevois enfin l'espoir d'aller mieux lorsqu'une nouvelle chasse s'offre à moi. Évidemment, Mél pense que c'est une très mauvaise idée, mais je m'en fiche. D'ailleurs, si je ne m'en occupe pas, personne ne pourra le faire : dans le cas présent, la créature qui pose souci n'est autre qu'un esprit de la forêt.

Contrairement aux croyances populaires, les esprits ne sont pas des âmes coincées dans notre monde, destinées à errer pour l'éternité. Parfois, la magie a la curieuse idée de se cristalliser, formant ainsi les esprits. Ils peuvent être de tout type : eau, forêt, vent et même ville. Très timides, ils sont la plupart du temps inoffensifs. Ils aiment trouver le repos dans des endroits calmes, loin de toute agitation. Mais leur curiosité les mène parfois à se confronter à des situations stressantes, ce qui leur fait perdre les pédales. Et de la magie pure qui pète un câble, ce n'est pas beau à voir et terriblement dangereux.

Griffes d'Encre: De Magie et de Sang T1 [Publié]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant