New York- 9:42
Aujourd'hui était un grand jour. Il s'accorda un sourire depuis le haut de sa tour, un rictus brûlant de satisfaction tandis que le soleil dardait ses rayons dorés sur la population en contrebas. L'effervescence rayonnante de la ville en cette matinée n'était rien face à ce qui attendait les habitants. Ils étaient ignorants. Ils se pressaient, se poussaient dans les rues, un café à emporter dans une main, leur petit-déjeuner dans l'autre, insouciants dans leur course effrénée contre le temps. Chacun d'entre eux se dirigeait aveuglément vers le travail qui l'asservissait en espérant trouver, dans ces tours de verre, une façon de contribuer à son bonheur artificiel.
Bientôt, tout ne serait plus que ruines.
Son esprit fou avait créé de toutes pièces un virus qui le gonflait de fierté, si bien que son unique cauchemar aurait été de disparaître avant d'apercevoir ses symptômes ravager le monde. Il avait mis son intelligence au service de la destruction, et sans doute était-ce là sa plus belle œuvre. Celle qui, découlant directement d'un cerveau malade, était sa vision lumineuse de la sélection naturelle ayant eu droit à un petit coup de pouce scientifique.
Il avait enfanté un hybride fabuleux en se basant sur la pandémie qu'il avait jugé la plus impressionnante, la plus inconcevable : la grippe de 1918. Celle que l'on surnommait aussi la grippe espagnole. Elle était due à une souche hautement contagieuse de la grippe appartenant au sous-type H1N1 qui s'était répandue de 1918 à 1919, laissant sur son passage une centaine de millions de morts à travers le monde. Il ne put retenir un sourire amusé. Les scientifiques s'accordaient à dire qu'elle était la pandémie la plus mortelle compte tenu de sa courte durée, ce qui n'avait rien d'étonnant au vu de la progression foudroyante du virus à l'époque. Moins de trois mois avaient suffi pour localiser des foyers d'infection dans les différents continents et, en ce qui concernait les États-Unis, il n'avait fallu qu'une semaine pour que la grippe ne les traverse de part en part. L'élément déclencheur de cette rapidité fulgurante ? Les progrès techniques, l'évolution des transports maritimes et terrestres, les échanges entre les métropoles européennes et leurs colonies ou encore les déplacements de combattants en Europe qui avaient –en dépit de leurs conséquences positives– signé l'arrêt de mort des populations.
L'homme était l'ennemi de l'homme.
Le plus impressionnant restait cette propagation internationale qui avait su échapper à tout contrôle : le virus père, une version de la grippe bien moins virulente quoique très contagieuse, avait fait son apparition en Chine durant l'hiver de 1917 à 1918, puis avait muté au Kansas –devenant alors trente fois plus mortel qu'une grippe commune– avant de se répandre en Europe en juin 1918 après le débarquement des troupes américaines. Les caractéristiques de cette grippe l'avaient fasciné pendant de nombreuses années : c'était un virus d'une contagiosité et d'une virulence remarquable, qui avait le mérite de ne pas provoquer le décès directement. A l'instar du sida, il affaiblissait grandement les défenses immunitaires jusqu'à ce que les complications bactériologiques soient létales. En l'absence d'antibiotiques, ces complications, qui se couplaient aux pénuries alimentaires et aux conséquences de la Première Guerre Mondiale, s'avérèrent finalement mortelles. Le bilan tragique se poursuivit sur plusieurs années jusqu'en 1922, à travers une surmortalité des femmes en couche et des survivants de l'épidémie de 1918 dont le système immunitaire était grandement fragilisé. Une véritable tragédie.
Ainsi, ce virus fascinant, il avait voulu se l'approprier, mais plus encore : le magnifier, le sublimer aux yeux du monde. Le révéler. Il s'était servi des travaux des équipes de chercheurs, ainsi que du virologue et docteur Jeffery K. Taubenberger, de l'Institut de Pathologie des Forces Armées Américaines, qui avait réussi en 2004 à synthétiser artificiellement le virus de 1918. S'appuyant sur une technique de génétique inversée, disposant de la quasi-intégralité de son génome, ils avaient redonné vie au virus dans un laboratoire de haute sécurité des Centres de Contrôle des Maladies américain. Un vrai miracle. Le virus ressuscité avait alors été soigneusement étudié sur des souris, des embryons de poulet et même des cellules pulmonaires humaines, afin d'en explorer les effets et d'isoler les éléments supposés meurtriers. Les résultats étaient tombés et l'équipe avait pu démontrer qu'il s'agissait d'une protéine de surface particulièrement agressive pour les poumons, l'hémagglutinine, qui donnait à la grippe la propriété de s'accrocher aux cellules.
VOUS LISEZ
Point Final 1 : Là où le chaos règne
Horror« Parfois, la volonté de vivre est plus puissante que la peur. L'épidémie a frappé au pire moment. Personne ne s'y attendait. Personne ne l'a vu venir. Mais tout le monde s'est accordé sur un point: c'était une guerre perdue d'avance face à un enne...