Chapitre 11 - Prédateurs

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LK laissa l'enseigne du Bar Tavelle derrière lui en crachant un peu de son dépit sur le bord du trottoir. Encore une soirée de perdue, ça ne pouvait pas continuer comme ça indéfiniment. Bien qu'un démon ne se soucie pas vraiment du temps qui passe, il fallait quand même qu'il retrouve cette mortelle effrontée avant qu'elle n'arrive au bout de sa courte existence. Combien de temps est-ce que ça vivait d'ailleurs, un humain ? Plus ou moins longtemps qu'un poisson rouge ?

Alors qu'il descendait tranquillement le long de la rue, perdu dans ses considérations existentielles sur la longévité des mortels – comme s'il n'avait pas du tout retenu la leçon la dernière fois qu'il avait marché au milieu de la route sans prêter attention – une odeur familière lui chatouilla les narines. L'odorat était parmi les aptitudes les plus développées chez les démons dans la mesure où l'avantage se révélait très utile pour la chasse ; à l'inverse d'autres sens comme le toucher qui souffrait d'atrophie afin de limiter leur perception de la douleur. Et cette odeur-là, LK se souvenait parfaitement de la dernière fois qu'il l'avait flairée. La chasse était ouverte.


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La frayeur dans le regard de Laëlle était délectable. L'homme hostile s'avança à quelques millimètres seulement de son visage pour profiter au plus près du spectacle et serra la gorge blanche encore un peu plus fort. Il se sentait tout-puissant, il pouvait faire d'elle ce qu'il voulait, il avait droit de vie et de mort sur sa captive.

— Hé, c'est ma proie, intervint une voix sévère.

Le tatoué enragea d'être interrompu dans son petit fantasme de domination. Il releva la tête en montrant les dents. Il avait déjà vu le visage dédaigneux du perturbateur qui s'était posté juste à côté de lui pour l'écraser de sa hauteur.

— Tiens mais c'est Hardy, réalisa LK, sarcastique. C'est pas prudent de sortir seul sans ton petit camarade.

Laëlle reprit son souffle pendant que son agresseur était momentanément distrait par le nouveau venu, mais il était toujours assis sur elle pour l'empêcher de se relever, lourd comme un cheval mort.

— Hé mais je te reconnais toi, se rappela l'homme en rogne. T'es le petit malin qui a voulu se faire passer pour Léo Valefort. Désolé mais tu sauveras pas ta copine cette fois.

— Je suis pas venu la sauver, le détrompa LK. Je suis venu lui donner un avant-goût des châtiments éternels qui l'attendent aux enfers.

— Oh alors elle a fini par t'entuber toi aussi, la petite vicieuse. Et si on se vengeait ensemble ? Je la maintiens pendant que tu lui fais son affaire, et ensuite on inverse les rôles, qu'est-ce que t'en dis ?

LK saisit l'homme par sa gorge tatouée et le souleva d'un seul bras jusqu'à voir ses pieds s'agiter stupidement dans le vide.

— C'est MA proie, grogna le démon féroce à la face du misérable mortel.

L'homme se mit à trembler de tout son être, il avait perçu quelque chose d'inhumain dans la voix rocailleuse de ce garçon, et une noirceur démoniaque dans son regard perçant.

Lorsqu'il fut projeté à terre, il se releva avec précipitation, ne souhaitant plus qu'une chose : déguerpir sans demander son reste et ne plus jamais croiser le chemin de cet être terrifiant. Il en éprouvait presque de la pitié pour Laëlle qui restait à la merci du monstre, elle allait enfin récolter ce qu'elle avait semé.

La jeune femme se redressa, assise sur le sol froid, et porta la main à sa gorge endolorie. Elle avait eu la peur de sa vie, toutes ses pensées étaient emmêlées dans sa tête et seule la vue des chaussures de son sauveur debout devant elle la raccrochait à l'instant présent.

— Merci, souffla-t-elle, la voix faible et cassée.

— Ne me remercie pas, tu n'es pas tirée d'affaire la rouqu... ine. Qu'est-ce qui est arrivé à tes cheveux ?

— Oh ça, dit Laëlle en portant la main à son chignon à moitié défait. Je suis pas vraiment rousse, je portais une perruque la dernière fois que tu m'as vue.

— Alors de la tête aux pieds y'a vraiment rien d'honnête chez toi, s'amusa LK en la voyant si démunie.

La jeune femme se mit à fouiller dans son sac à main et en sortit une poignée de pièces de monnaie qu'elle aligna sur le bitume en comptant à voix basse.

— Qu'est-ce que tu fais ? demanda le démon.

— Je te rembourse.

Elle avait l'air si misérable à compter sa petite monnaie sur le sol qu'il n'avait même plus le cœur à se venger dans l'immédiat. A quoi bon s'en prendre à une proie déjà à terre ?

— Garde ça, dit-il en repoussant les pièces du bout de la chaussure. C'était même pas mon argent que t'as pris, je l'avais piqué à un autre gars en début de soirée.

— T'es un pickpocket alors ? interrogea la jeune femme en ramassant ses pièces une à une.

— Le meilleur, confirma-t-il, crâneur.

— Pourtant je t'ai fait les poches sans que tu t'en rendes compte...

Elle reprenait du poil de la bête, l'embrouilleuse. LK préférait ça, il fallait que l'adversaire soit à son meilleur niveau pour prendre plaisir à l'écraser.

— Pourquoi t'as fait ça alors que je venais de t'aider ? voulut-il savoir.

— J'avais besoin d'argent pour le taxi. J'allais pas rentrer à pied en pleine nuit avec deux brutes qui guettaient l'occasion de m'isoler dans un coin.

— ... Je te l'aurais payé si t'avais demandé, finit-il par répondre après avoir réfléchi à la pertinence de l'argument.

— Mais ça aurait été moins drôle.

LK en resta coi. Mademoiselle aimait jouer avec le feu. Ça tombait bien, les flammes c'était son rayon, et il se sentait d'humeur joueuse lui aussi.

— Écoute, reprit la jeune femme qui trouvait visiblement le sol très confortable. Puisque tu ne veux pas que je te rembourse, peut-être que tu accepterais que je t'offre quelques verres aux frais de Léo ? C'est un régulier du Bar Tavelle tout près d'ici, le patron mettra toutes nos consommations sur son ardoise.

Boire sur le dos de celui dont il avait joué le rôle tout en profitant de l'occasion pour étudier la meilleure façon de prendre sa revanche sur l'enquiquineuse ? Ça ressemblait à un bon plan. En plus, ça donnerait enfin une raison à la demoiselle d'arrêter de traîner par terre comme une miséreuse, LK en avait marre de la voir à ses pieds alors qu'elle ne se donnait même pas la peine d'implorer sa clémence.

— Ça marche, accepta-t-il en lui tendant un bras pour l'aider à se relever.

Elle était plus petite que lui, mais il avait enfin l'occasion de revoir cette malice joyeuse dans ses yeux. Ça réveillait son envie d'étouffer cette étincelle dans le creux de sa main, il se délectait déjà de sa vengeance à venir.

Souris, fausse rouquine, profite-en tant que tu le peux encore.

— Par-là, dit-elle en le tirant par le bras.

— Tu devrais te rajuster un peu, recommanda-t-il en voyant son chignon négligé et sa robe défaite. On dirait que tu viens de te faire agresser dans une ruelle obscure.

— Ah ah, très drôle Elmo.

Il serra les dents. Elle faisait exprès, c'était évident. Elle faisait exprès. Elle cherchait à l'énerver... Et ça fonctionnait diablement bien !




Déchu [Sous contrat]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant