CHAPITRE 2

4 0 0
                                    

- CHAPITRE 2 -

CQFD

Mes copains... nous ne sommes plus dans la même classe, puisque je dois redoubler ma première, après avoir loupé la première partie du bac en juin dernier. Je suis trop nul en maths et en physique-chimie ce qui, en section Moderne, ne pardonne pas. J'aurais dû faire Classique, mais comme j'avais lâché le latin en quatrième, ça ne collait pas. Et puis je voulais rester avec mes copains, justement, qui avaient tous choisi la filière Moderne. Ils ont passé leur bac, eux, et ils sont en terminale, en Math Élem ou en Sciences Ex, dans le même bahut. Moi je suis toujours coincé en 1ère M, mais l'an prochain je ferai Philo, c'est certain, enfin si j'ai mon bac cette fois-ci. Ils l'appellent examen probatoire, maintenant, mais c'est la même chose.

Bien sûr, je me suis fait quelques nouveaux amis depuis la rentrée scolaire, ceux qui étaient en seconde l'an dernier et qui ont rejoint notre petit noyau de redoublants, mais ce n'est pas vraiment la même chose : mes potes, jusqu'à présent, c'étaient ceux que je côtoyais depuis la neuvième, avec monsieur Leroux qui fut notre instituteur pendant trois ans, jusqu'à la septième et l'examen d'entrée en sixième. Mais nous nous voyons pendant les récrés, et puis au Domaine, aussi. Avant, il y avait également les deux trajets quotidiens en car, mais depuis que j'ai ma mob, je l'utilise pour aller au bahut. J'ai eu un Solex pendant deux ans, mais c'était vraiment pénible pour monter les côtes, que ce soit celle pour aller jusqu'au lycée, ou bien celle pour rentrer à la maison, avec passage obligé dans un sens comme dans l'autre le long de la Seine.

Quand on s'est revus, le lendemain, après le déjeuner, Jean-Jacques n'a pas manqué de me demander de quoi j'avais parlé, avec Marchal. J'ai bien vu qu'il était aussi excité que moi quand je lui ai raconté ; j'avais rajouté quelques détails de mon cru sur le trésor secret des SS pour faire bonne mesure, mais il n'avait même pas besoin de ça, l'attrait du monde souterrain lui suffisait.

Eh bien nous en avons été pour nos frais : il nous a fallu, l'un comme l'autre, patienter jusqu'à la semaine suivante pour avoir l'occasion d'approcher de nouveau la porte de l'antre de Von Rundstedt. Je crois que je n'avais jamais attendu avec autant d'impatience un cours d'éducation physique que celui de ce lundi 17 septembre. Il faut dire que j'ai toujours été la tête de Turc des profs de gym, qui se défoulent de leur frustration d'être des enseignants de seconde zone, dédaignés par leurs collègues licenciés ou agrégés, sur les quelques infortunés qui, comme moi, n'ont jamais été capables de grimper le long d'une corde, fût-elle à nœuds, se prennent les pieds dans l'élastique du saut en hauteur, et s'écroulent, pantelants, dès le deuxième tour de piste.

La porte avait été murée, comme Hébert l'avait prédit. Par de bons gros parpaings, bien laids et bien solides, des joints desquels le ciment dégoulinait encore. Ils ne s'étaient pas donné la peine de bloquer la meurtrière, seul un petit de sixième aurait pu s'y glisser, et ça nous aurait avancé à quoi ? J'en informai Jean-Jacques à la première occasion, c'est-à-dire après la cantine, dans la cour où on peut fumer. Lui n'est pas un fumeur de pipe, il préfère les Benson que son père lui ramène de Londres. Je fume aussi des clopes, mais je n'ai pas de marque préférée. J'avais même commencé une collection de boîtes de cigarettes, avec bien sûr les boîtiers métalliques rouge des Benson & Hedges en bonne place.

Quand j'étais plus jeune et que nous vivions encore à Paris, mes parents fumaient des Gauloises, maintenant ils se sont mis aux Disque Bleu, mais je n'aime pas non plus, elles sentent mauvais et elles piquent la gorge. Mon grand-père maternel (l'autre est mort), il fume des cigares Voltigeur et des Boyard Maïs. Celles-là, elles sont vraiment infectes, j'ai essayé. Et ma grand-mère, des espèces de cigarettes colorées avec des filtres dorés, elles viennent de Turquie ou d'Egypte, je crois. Mais pas beaucoup, une cigarette après le déjeuner du dimanche, ou quand on sort tous ensemble au restaurant, pendant les vacances. Ma sœur ne fume pas, elle est trop petite. J'ai oublié ma grand-mère paternelle, que je n'ai jamais vu fumer. Mon père m'a dit qu'elle fumait la pipe, parfois, pour faire genre, après la guerre de Quatorze.

Le Trésor de DagobertOù les histoires vivent. Découvrez maintenant