60 - On the Road of Future

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Jour de rentrée. Le froid m'accompagne jusque dans la salle de Griffin. Assis sur le tabouret devant le clavier, je souffle sur mes doigts pour les réchauffer. J'ai passé l'après-midi de la veille enfermé dans ma chambre : nulle envie de me voir fliqué par le radar surtout quand j'aurais dû passer la journée avec Corentin. Ce matin, William n'a pas soufflé un mot de travers. Peut-être que cet entretien forcé avec sa génitrice n'est pas à son goût. Je soupire, désabusé mais pas peu fier de l'avoir remis à sa place.

 Non, ce sont d'autres pensées qui occupent mon esprit...

 De réflexe, je passe le doigt sur l'écran de mon portable. Corentin n'a pas répondu. Une boule d'angoisse m'enserre les entrailles. Je me ronge les ongles en réalisant qu'on n'a toujours pas réabordé le sujet "Graham". L'avenir. L'avenir de Corentin. Son avenir... sans moi.

Il prend trop de place dans ta vie, Max. Souviens-toi comment tu faisais avant.

 Oui, comment je faisais avant... La solitude qui me guette me semble tout a coup prendre une ampleur considérable. Bien trop grande pour que je ne me sente pas démuni. A-t-elle toujours eu cette ampleur ? Où est-ce l'effet "Corentin" qui lui donne tant de consistance ?

 Sur le piano, j'effectue quelques gammes sans grande conviction. J'enchaine les arpèges liés et piqués, puis continue sur un passage qui m'a donné du fil à retordre la veille. J'ai repris Brahms là où je l'avais laissé avec la ferme conviction d'en tirer quelque chose : réussir là où j'ai échoué avant les vacances. Les yeux fermés, l'orchestre résonne peu à peu autour de moi. Il prend vie, s'accorde. Le son s'élève, fracassant, dans un premier roulement de timbales. Les violons s'affolent et vomissent le thème, expulsé comme une mère accouche dans la douleur. La tempête fait rage. Elle se déchaine dans les branches, claque, s'offusque. Et soudain, c'est l'apaisement. Douce accalmie que cet instant de latence qui fait écho en moi avant que la mélodie ne reparte, plus grande, plus majestueuse. C'est de la souffrance que nait la vie, l'extase, ce tourbillon d'émotions qui se heurtent, s'entrechoquent et s'insurgent, pour qu'au paroxysme de la création s'invite le piano. Léger, mes doigts se posent sur les touches comme une brise repousse les nuages. Avec discrétion, guidé par la mélodie, mes doigts s'enfoncent dans le clavier. C'est à ce moment que me sens grandir.

 Je rouvre les yeux : l'orchestre répond.

 Accords.

 Les notes roulent. Decrescendo.

 J'inspire tandis que la mélodie se déleste de ses notes. Elle cueille les aigus, avale les graves.

Ritardendo. Point d'orgue.

 Je dois briller si je veux pouvoir me tenir aux côtés de Corentin. Je laisse peu à peu le piano prendre possession de moi. Ce n'est pas Robert, mais sentir les touches sous mes doigts a quelque chose de réconfortant. Particulièrement dans cette salle. Je crois que je n'ai jamais joué de manière aussi intime en dehors de chez moi.

 Je respire un bon coup.

Cesse de penser à Stein, tu n'as rien à justifier, Max.

 Griffin a raison : je n'ai pas à m'excuser de jouer du piano, et jouer pour Stein ne me rendra pas meilleur.

 Je m'interromps et attrape mon portable. Pas de message. Je me retourne en entendant la porte se refermer.

 – Bonjour et bonne année, Maxime. Comment allez-vous ?

 Griffin apparait emmitouflée dans un bonnet et une écharpe de laine.

 – Bonne année. L'année commence froidement.

Genius Love [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant