Chapitre 4

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Lettre XIII

Réponse de la duchesse de Galanta au marquis de Lagandière

Cher homme d'affaires de femmes,

L'intelligence de toutes ces femmes est touchante mais n'oubliez pas que celle des lettres ne fait pas la personne. Mon amie se comporte comme une pauvre victime, elle attire la préoccupation d'hommes trop naïfs comme vous. Ne vous laissez point apitoyer par ce genre de race qui se prend pour d'immortelles nymphes. Je voulais évoquer avec vous les principaux sujets de notre gentille fête. En voilà le programme.

Connaissant votre domaine et les beaux jours qui suivront, l'après-midi commencera par une douce promenade près de la mer et des jardins. Nous laisserons les couples s'enlacer, s'avouer les choses les plus honteuses, les filles se glisser auprès des torses mâles. Tout cela sera égayé par un vin clair et sucré commandé chez le meilleur caviste de Lagandière. Le champagne pétillant servira à envahir les corps d'une ambiance enflammée, favorisant les orgasmes et le touchant laisser-aller. Puis dans la soirée, lorsque tout le monde aura bien bu, bien mangé, nous irons au lit. Pour les plus naïfs, ce sera une nuit de bals, de banquets garnis et de conversations innocentes et délicieuses. J'ai communiqué avec le majordome à propos de l'inventaire des costumes : masques d'animaux, de nymphes, de dieux et bien sûr des cartons de poudre rouge et blanche. Le champagne et le vin ne manqueront pas, j'ai eu le plaisir de trinquer à votre santé et à notre entreprise déjà florissante. Permettez-moi de prendre votre rôle, qui est celui de goûter les grands crus.

Un conseil de mère pour son fils qui vous paraîtra répétitif et barbant : méfiez-vous des femmes. Certaines sont des courtisanes aguerries, habituées aux gentilshommes libertins. Elles savent y faire dans ces affaires-là, vérifiez souvent les caisses du palais.

Votre compagne de bataille, Margot de Galanta.


Lettre XIV

De la marquise de Souche-Parré à la duchesse de Galanta

Ma très chère confidente,

L'écriture m'est favorable lors de moments de désarroi. Lorsque ma plume se pose sur le papier clair, j'ai le sentiment de m'envoler loin des malheurs et des ressentiments qui s'emparent de moi tel un flux de poitrine.

J'ai assisté à cette fête qui, dans mon esprit, semblait très sage. Mais voilà que j'ai eu affaire à un calomniateur dont j'accuse d'avoir rectifié sa parole dans une lettre qui m'était destinée. Je lui ai avoué mon aversion pour les débauches, les actions crues et les paroles malhabiles. L'après-midi a été délicieuse, passée auprès de la mer aux vagues tranquilles, au vent balayant nos cheveux poudrés. J'ai causé avec une certaine comtesse de Parois et le beau monde confirmera ma critique : trop sûre d'elle, convaincue de ses avis, prête à en découdre avec les autres rivales. Elle est jeune mais bien naïve. C'est encore une demoiselle sans éducation, mariée à un vieillard qui n'aura jamais eu le temps de la discipliner, une jeune fille tout juste sortie du couvent. Mais vous aviez raison, un esprit contraire au sien peut éveiller et égayer l'esprit des ennuis du foyer.

L'atmosphère de cette idylle s'est totalement changée, comme si un orage s'abattait sur le paysage marin. J'ai retrouvé la marquise de Parois entièrement nue, les formes bien en vue et recouverte de poudre d'or. Imaginez la tête que j'ai pu faire face à cette femme débridée et à la merci des hommes ! J'ai failli ne point la reconnaître car un masque d'animal fort grossier couvrait son beau visage. Les décorations autrefois gentilles, jolies et riches disparurent. Les domestiques avaient donc comploté alors que nous étions en pleine promenade ! De grandes colonnes faisaient face aux immenses portes du palais romain. A la place de petites tables, des sortes de lits déjà occupés par des personnes masquées, pieds nus, débauchées, incorrectes. Je pénétrai en ce lieu, pétrifiée et interloquée par le frôlement des jupes trop courtes, des torses divers, des jambes découvertes et peu élégantes. Je me sentis épiée d'être enveloppée de vêtements soyeux et de chaussons confortables. Les êtres sont devenus une communauté indigène à se plier aux règles plus correctes de la religion catholique.

Les Mignonnes du Marquis de LagandièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant