Chapitre 7 : Le Courage et l'Endurance

62 6 7
                                    

En amour comme en douleur, il existe deux types de partenaires. Ceux qui comprennent, et ceux qui demandent. Difficile de blâmer les amants qui posent ouvertement des questions nécessaires dans leur quête de performance. Afin d'apprendre, il faut comprendre. La communication n'est-elle pas l'outil indiqué pour toute forme de compréhension dans les interactions humaines ? Toutefois, avez-vous une idée du nombre de fois où j'ai entendu : « C'était bien ? » ou encore « T'as joui ? ». Dites un nombre, une estimation à la louche. Combien ? Vous êtes encore très loin du compte. Je n'accuse personne en particulier, et j'ai même oublié les prénoms de la plupart des humains qui m'ont posé ces questions. Toutefois, ici encore, David faisait exception. Il n'avait pas besoin de m'interroger après nos rapports. Même lorsque nous étions lycéens, il comprenait sans demander. Il appartenait à ce groupe très restreint d'amants qui savent interpréter les signaux non verbaux. Il était pourtant aussi vierge que moi lors de notre première fois, débutant et un peu maladroit comme chacun de nous à l'aube de nos sexualités. Cependant, les soupirs, les tremblements, les contractions, les regards, les réflexes musculaires infimes du visage et du corps, suffisaient à lui indiquer à peu près tout ce que d'autres avaient pourtant besoin d'entendre. Chers lecteurs, apprenez à écouter, avant d'exiger une réponse que l'ont vient déjà de vous murmurer. Qu'il s'agisse d'infliger du plaisir ou de la douleur, l'apprentissage et l'ajustement partagent un procédé identique. Les signaux non-verbaux demeurent bien plus explicites et sincères qu'une parole donnée.

Ce jour-là, devant l'ordinateur de David, mon intention de découvrir et d'incarner ses fantasmes se mua peu à peu en simple curiosité. La ludothèque érotique en ligne m'apprit qu'il consultait ce genre de divertissement, mais pas exactement quel titre ou sous-genre en particulier. Je devinais aisément que mon Maître cachait alors des secrets plus « raffinés » que des animations flash avec des personnages de cartoon mis en scène de façon un peu comique pour cacher le manque d'imagination des scénarios. L'humour n'est souvent que le cache-misère mité d'un manque de moyens. J'entretenais cette conviction que ses fantasmes les plus intimes, sous forme de jeux, étaient enfouis quelque part sous les données de son disque dur. Évidemment, il n'y aurait pas de dossier « jeux de cul » avec un bon gros icône bien voyant sur le bureau. L'archéologue s'arma de sa pelle et de son pinceau, il allait falloir déterrer les indices dans l'arborescence de ses sous-dossiers. De mémoire, cela m'a pris moins d'une heure pour découvrir les dossiers que je cherchais. Son disque était partitionné en C: et D: pour séparer les fichiers système des données personnelles diverses : musiques, jeux, images, etc... J'ai perdu beaucoup de temps à ouvrir l'un après l'autre tous les dossiers de sa discothèque (oui, cela peut représenter un établissement festif dansant ou bien une simple collection musicale). Après tous ces efforts inutiles, j'ai remarqué que le dossier « fonds d'écran » était très volumineux... beaucoup trop volumineux pour quelqu'un qui ne change quasiment jamais de fond d'écran. Au bas de ce répertoire, après quelques jolies photos de paysages et de ciel nuageux, il y avait un dossier « autres » par lequel on accédait au double-fond du tiroir !

Je n'avais pas le temps d'essayer tous les jeux érotiques cachés sur l'ordinateur de mon Maître. L'une des règles de tout bon cambriolage : rester le moins de temps possible sur les lieux. J'ai donc copié tout le dossier sur une clé USB afin d'utiliser mon propre PC pour les ouvrir. Cela permettait aussi de laisser le moins de traces possibles, par exemple en ne touchant à aucune sauvegarde automatique. J'admets qu'il s'agissait-là d'un peu de paranoïa inutile, puisqu'il est peu probable qu'un détail si infime soit remarqué. Pendant la copie, j'ai continué à explorer un peu les dossiers, au hasard de ma curiosité... Sans le savoir je suis tombée sur quelque chose de bien plus intime et concret qu'une ludothèque : une collection de manuscrits.

L'importance de cette découverte ne m'a pas immédiatement sautée aux yeux. J'ai tout de même ressenti suffisamment d'intérêt pour copier aussi ce dossier sur ma clé USB. Après-tout, quelques fichiers texte ne pesaient presque rien comparé à tous ces jeux... J'avais conscience de faire quelque chose d'immoral, toutefois je justifiais mon comportement par des intentions nobles. Cette quête pour satisfaire mon Maître aurait dû commencer par respecter ses données privées, ses fantasmes et son art, sans essayer de m'y insérer en force. Parfois, l'amour devient si obsessionnel qu'il nous pousse à la folie. N'imaginez pas la folie comme un délire paranoïde psychiatrique. La folie dont je parle se présente comme une altération de notre perception de la réalité, et des raisonnement logiques qui en découlent. Je voulais le bonheur de mon Maître, je pensais faire tout cela pour lui. Je l'aimais sans me rendre compte que j'étais une fois de plus en train de la trahir, et toujours par pur égoïsme. Il était devenu pour moi une obsession qui dépassait toute logique, mon amour ressemblait à une foi aveugle, une dévotion religieuse... et s'il y a bien une chose qui définit la foi, c'est l'absence de raisonnement logique.

Le Temps des RegretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant