Chapitre 8 : Feutre Rouge et Pinceau Noir

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Si je devais en faire le bilan, je dirais que ma toute première punition corporelle avait été primitive. J'estime cet adjectif pertinent car il exprime explicitement l'absence de raffinement dans cette démonstration d'autorité par la violence. Il faut bien commencer par quelque chose pour apprendre les bases. Je n'avais pas encore acquis le réflexe de remercier mon Maître au cours ou à la fin du châtiment, ni de lui présenter mes excuses ou de supplier son pardon. Lui-même n'avait pas ritualisé la punition, il m'avait simplement battue sans plus de cérémonie que ses courtes explications avant l'acte. Tout ceci me paraîtrait invraisemblable aujourd'hui, je ne pourrais décemment accepter un tel traitement ni prendre au sérieux quiconque agissant de la sorte. Toutefois, j'avais perçu cet évènement totalement différemment à l'époque. Me faire arracher ma culotte en dentelle, forcée dans une position inconfortable et humiliante, me sentir vulnérable sur ses genoux... et puis, ce sentiment difficile à décrire. Lorsqu'on offre à quelqu'un la possibilité de nous faire du mal, lorsqu'on s'expose sans défense, seulement par confiance en l'autre, et que cette personne utilise cette brèche pour nous blesser précisément à l'endroit le plus sensible... Je ne saurais expliquer exactement pourquoi, mais cela produisait un puissant effet sur moi. Je m'étais entièrement offerte à mon Maître, mais plutôt que m'utiliser pour son plaisir, il choisissait de me punir et de me torturer. J'en étais complètement trempée.

Oui, vous avez bien lu. Cette fessée ne m'avait pas infligée uniquement de la douleur. Cette confession me paraissait inavouable à l'époque, et demeure aujourd'hui difficile à aborder. Inutile de nier une réalité factuelle : j'avais ressenti autant d'excitation que de souffrance. Ou bien alors, une forme d'excitation dans la souffrance. Je ne souhaite pas utiliser le mot qui vous vient naturellement à l'esprit, car je ne pense pas qu'il soit pertinent dans cette situation. Je ne ressentis aucun plaisir dans la douleur, à proprement parler. Je n'étais pas en recherche de souffrance et n'avais développé aucune addiction à cette sensation. Je n'aurais même pas eu l'idée de provoquer mon Maître délibérément pour m'attirer plus de châtiments corporels. Si je devais analyser les raisons et implications de cette situation, je suppose que cela remontait à mes années de solitudes. Comme expliqué au chapitre 6, j'avais depuis longtemps développé une accoutumance à la douleur. Pas uniquement à la sensation physique, mais à l'état de souffrance généralisée, principalement morale et psychologique. Finalement, le bonheur, la joie, le bien-être m'étaient devenus si étrangers, que je ne m'y sentais désormais plus à ma place. Je n'appartenais plus à ce monde fait de rayons de soleil, de rires, de fleurs et de crèmes glacées. Mon monde à moi était sombre et froid, solitaire et pénible. La compagnie de mes pairs devenait intolérable dans leurs folles absurdités. Leur joie me paraissait factice. Leur bienveillance, intéressée. La petite fille qui était devenue muette pour bannir ceux et celles qui la rejetaient, avait finalement refait surface et repris le contrôle de ma personnalité.

Comme expliqué au paragraphe précédent, je ne recherchais pas à me placer délibérément dans des situations de souffrance. Ou, du moins, je m'étais détournée de cette spirale autodestructrice. Objectivement, j'avais laissé beaucoup trop d'inconnus et de connaissances me maltraiter car je n'osais pas directement mettre fin à mes jours. Peut-être que, depuis tout ce temps, je me punissais moi-même inconsciemment et que... la seule personne à l'avoir remarqué avait alors accepté d'endosser le rôle du bourreau, pour me sauver de mes propres pulsions. Je crois que j'avais trouvé cette punition excitante, sexuellement stimulante, car j'avais enfin ressenti quelque chose de fort et de concret. De plus, mon Maître s'était ouvertement « occupé » de moi pendant quelques minutes. Jusqu'ici, je le servais et lui offrais toutes sortes de plaisirs charnels, sans rien recevoir de réciproque. Il m'ignorait presque en tant que partenaire, comme si je n'étais qu'un jouet dont il disposait, ce qu'il confirma de ses propres mots. Toutefois, au moment de me punir, il m'accorda toute son attention. Il se concentra entièrement sur moi, et sur ce que je ressentais. Qu'il s'agisse de plaisir ou de douleur, qu'importe ? La seule chose qui comptait alors pour moi, fut de retrouver l'attention et le désir de mon ex-chevalier. Je lui appartenais, il avait commencé à m'utiliser déjà depuis quelques temps, mais voici qu'enfin il daignait agir sur moi. La différence entre un cadeau de récompense et un châtiment de punition est mince. Dans les deux cas, on reçoit quelque chose qu'on mérite, quelque chose qui provient d'un être aimé, quelque chose qu'il accomplit, qui lui coûte de l'attention et de l'effort. Je venais de recevoir un présent de mon Maître !

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