Chapitre 1 : Incertitude

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J'ignore pourquoi vous êtes encore là après tout ce temps. Un premier roman objectivement maladroit et décousu. Un long silence de plusieurs mois après sa publication. Et soudain, voilà que je réapparais avec un hommage émouvant dans une préface énigmatique mais sans intérêt. Je devine que parmi les lecteurs et les lectrices, mes amis en ligne ainsi que ceux et celles qui ne me connaissent qu'au travers du premier tome, vos motivations varient. Je suis indescriptiblement heureuse de vous accueillir une nouvelle fois dans mon intimité, afin de partager ces souvenirs et ces émotions comme de vieux camarades au coin du feu. Cependant, à ceux qui espèrent une douce romance ponctuée d'un dénouement heureux, armez-vous de courage pour affronter l'effroyable désillusion. A ceux qui ont été attirés par l'aspect sexuel et tabou de mon premier tome ; méfiez-vous, car je n'ai ni l'intention de ménager vos sentiments, ni l'hypocrisie de nourrir vos fantasmes à l'aide des clichés habituels que l'on rencontre dans la littérature érotique ou l'industrie pornographique. Cette nouvelle histoire retrace probablement le chapitre le plus sombre de ma vie. « La Laisse et le Baiser » n'était qu'un prélude, un chemin tortueux pavé d'erreurs et de regrets, et la repentance pour mes crimes ne saurait être douce ou clémente.

Ainsi, reprenons cette histoire l'année de mes 22 ans, le lendemain matin après ma première nuit dans la chambre de David.

J'étais épuisée et affamée lorsque je me suis présentée pour la dernière fois devant la porte de mon ex-chevalier. Ses refus, ses réprimandes, m'avaient accablée comme autant de coups d'épée, et je saignais par toutes les veines de mon corps. Cette ultime fois, s'il m'avait encore repoussée en dépit de mes efforts et de ma docile soumission, j'aurais très certainement mis fin à mes jours. Je m'y étais préparée, plus rien ne me retenait à la vie. On pense parfois au chagrin que provoque un tel acte auprès de nos proches, notamment la famille, mais même l'amour inconditionnel de mes parents ne pouvait guérir la mélancolie et le désespoir qui s'étaient emparés de moi. J'étais si atterrée que je n'aurais pas même pris le temps de leur écrire une lettre d'adieu. On commet parfois des tentatives de suicide sans véritable intention de se donner la mort, mais plutôt dans l'espoir de tirer une sonnette d'alarme. Il s'agit d'un appel au secours, un acte de détresse pour éveiller l'attention de tous ceux et celles susceptibles de nous tendre la main. Dans ce cas précis, mes motivations étaient différentes. Je me serais sacrifiée symboliquement, afin d'affirmer ma dévotion, de prouver l'irréprochable sérieux de ma repentance. J'imaginais que David avait besoin de trouver mon corps inerte, étendu sur le seuil de sa porte, pour enfin comprendre l'ampleur de mon amour désespéré et verser une ultime larme à mon attention.

Je me suis longtemps demandée ce qui avait poussé mon ex-chevalier à accepter mon serment de servitude. Il n'était pas le genre d'homme à se délecter de telles perversions, il n'avait certainement pas grand intérêt à m'accepter sous sa tutelle. Avait-il détecté mon désespoir ? Certainement, car je pense l'avoir exprimé de manière suffisamment explicite. Avait-il décelé cette légère différence dans mes supplications, lors de mon ultime tentative ? Dans ce cas, il m'avait recueillie par charité, pour m'empêcher de commettre l'irréparable, et me sauver la vie une nouvelle fois. Je ne saurai jamais s'il a agi par amour, par compassion, par pitié, ou simplement obéi à un mécanisme psychologique qui l'emprisonnait lui-même dans le syndrome du sauveur.

Quelles que furent les motivations de David, ses blessures étaient encore bien présentes, et son ressentiment envers moi transpirait clairement à chaque instant. À partir de ce jour-là, il entrait en possession d'une esclave. Une servante complètement dévouée, prête à tout par repentance, mais qu'il ne pouvait aimer après tout le mal qu'elle lui avait infligé. Chaque fois qu'il posait les yeux sur moi, de terribles et douloureux souvenirs lui revenaient en mémoire. Ma trahison avait été innommable, multiple et répugnante. Son humiliation l'avait conduit à une profonde exclusion, pire que celle que j'avais connue dans mon enfance, car j'avais manipulé ses meilleurs amis à son encontre. J'étais incapable de réparer ce mal que j'avais répandu dans sa vie, dans son honneur, dans ses relations, dans sa confiance en lui, dans son amour propre, et dans son corps. Dès les premières semaines, j'ai facilement perçu qu'il avait perdu sa glorieuse prévenance de chevalier, et qu'il n'était plus qu'un triste vétéran solitaire et aliéné par les blessures et les traumatismes d'une guerre bien trop longue et trop injuste, jusqu'à l'inévitable défaite.

Le Temps des RegretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant