Prologue

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ANDREW

Novembre 2012

—Nous avons survécu.

Nous avons survécu. 

—Nous rentrons chez nous.

Nous rentrons chez nous.

J’ai les mains moites et je jurerais qu’elles sentent le sang sec et froid. L’odeur de la mort me colle à la peau et les pires images que j’ai pu vivre se contemplent dans mes yeux. Le bruit sourd des explosions me fait sursauter à chaque fois que le bus bouge, bien qu’au fond de moi, je sache que ce ne sont que des éclats de mémoire qui me parviennent.
Là où je me trouve, assis dans ce bus, mes coéquipiers ne risquent rien, je ne risque rien ; seulement, j’ai l’impression qu’un danger ou une attaque me guette de très près. Je n’ai aucun moyen de défense et je me rends compte à ce moment que je me suis habitué au contact d’une arme contre ma peau, car il n’y a qu’ainsi que nous pouvons protester.
J’ai manqué de beaucoup de choses : de vigueur, d’intelligence, de logique et même d’assiduité, mais je n’ai pas passé une seconde sur le terrain ou dans notre camp sans arme. J’ai eu tort de m’être ouvert, d’avoir fait confiance aveuglément, et je m’en veux d’avoir cru qu’un frère ne changerait pas en cette période de guerre.
Contrairement à ce qu’ils pensent, je n’ai pas survécu à cette mission. Les séquelles sont bien trop profondes pour que je trouve une quelconque réjouissance à être toujours en vie. Pas comme ça, pas dans ces conditions. Pourtant, je dois accepter la réalité.
Nous rentrons chez nous.
Le bus s’immobilise. Aucun d’entre nous ne se lève. Nous attendons les ordres, notre opération s’arrête là ; cependant, nous restons encore des soldats pour ces dernières secondes. Notre capitaine manque à l’appel et nous sentons son absence impacter notre moral. Il n’est pas avec nous, il ne peut plus l’être. Des images me reviennent sous forme de violents flashbacks, je plisse les yeux en sentant toujours et de plus en plus fort l’odeur du mort. C’est l’un de mes coéquipiers qui, en posant une main sur mon épaule, m’oblige à sortir de ce souvenir.

—Ils attendent les ordres.

J’observe cet homme qui a combattu à mes côtés. Sa femme doit l’attendre à la gare, comme tous les autres proches des soldats qui m’accompagnent.

—Je crois que c’est à toi de les donner.

Je le regarde, incrédule. Moi ? Un gamin de vingt piges qui est responsable de la mort de tout un régiment ? Ce n’est pas à moi de faire ça, je ne le mérite pas. L’homme reste debout, aussi droit qu’un I, comme s’il était au garde à vous, et si j’avais été d’humeur joviale, j’aurais blagué sur le fait qu’il était victime de déformation professionnelle. Je porte une main à ma fourragère, une récompense qui a été offerte à tout notre régiment.
Je suis honteux de l’avoir obtenue. Pourtant, je la porte le long de mon bras. Mes épaulettes sont droites et me donnent un air confiant ; j’ai toujours été bon pour faire semblant. Peut-être suis-je finalement le mieux placé pour parler à mes coéquipiers. J’attrape mon képi beige et la mets sur ma tête avant de me lever dans l’allée du bus vers mes derniers compagnons qui m’observent.

Je prends une longue inspiration.

Qu’est-ce que je pourrais bien raconter ? Je ne me vois pas dire quelques mots sur ce qu’il s’est passé là-bas ; nous avons vécu l’enfer ensemble, combattu et déplacé les corps de nos confrères morts, je n’ai pas besoin de parler de l’opération, ce serait inutile.

—« La mission est sacrée, nous l’exécuterons jusqu’au bout et accomplirons nos opérations avec la volonté de gagner et de vaincre, si nécessaire au péril de notre vie. »

Le code d’honneur de l’Armée de Terre. Notre code d’honneur pour lequel nous avons prêté serment en nous engageant dans l’armée, puis que nous avons réitéré pour venir en aide aux Américains dans cette guerre en Afghanistan.
La raison pour laquelle nous sommes tous là, la raison pour laquelle nous sommes réunis aujourd’hui. Beaucoup d’entre nous ne pourrons pas revenir sur le terrain avant un moment, si ce n’est revenir tout court, moi le premier. Il m’a donc semblé bon de rappeler notre code à ce moment précis.
Quelques soldats esquissent un léger sourire.

—J’ai été honoré de me battre à vos côtés…

Je fais une pause de quelques secondes avant de reprendre.

—Vous pouvez disposer.

Mes coéquipiers prennent leurs affaires et commencent à descendre du bus en passant devant moi. Ils me serrent tous la main un par un, puis, lorsque le dernier sort, je me résigne à en faire de même. Je dois bien avouer que ce vent frais qui couvre mon visage me fait un bien fou. Je frissonne et ferme les yeux pour profiter pleinement de ce sentiment.

—Andrew ! m’interpelle une voix féminine.

Je regarde autour de moi et l’aperçois. Jo avance vers moi en trottinant, suivie de très près par Gabin. Je souris, incapable de m’en empêcher. Les revoir me réchauffe le cœur instantanément. Mes amis se jettent dans mes bras lorsqu’ils arrivent à ma hauteur, et je suis alors empli d’un sentiment de réconfort.

—Tu es de retour à la maison, me susurre Jo à l’oreille.

Elle a raison.

J’ai survécu.

Je rentre enfin chez moi.

Le Mini Malibu (publié en auto-édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant