Les tresses

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Je me souviens des ces fois où je laissais toujours mes cheveux détachés.
De ces fois où mes amies me le reprochaient tout le temps en pensant que je le faisais exprès.
De ces fois devant la glace où j'essayais en vain de me coiffer sans parvenir à dépasser quelques centimètres de tissage laborieux.
Des ces fois où elle venait dans la salle de bain ou les soirs dans le salon quand elle me disait qu'elle pouvait m'aider avec mes mèches rebelles.
De ces fois où je refusais toujours peut-être par fierté peut-être par loyauté.
J'enviais les filles qui avaient des nattes fines lustrées comme des œuvres d'art sur leur crâne.
Mes brins châtains et fougueux n'avaient aucun éclat personne n'en prenait soin et c'était comme si mon shampoing au sirop d'érable ne serait jamais assez parfumé pour masquer la puanteur de son absence.
Je retentais toujours en observant mon écran minutieusement je me disais que si les autres pouvaient le faire alors moi aussi.
Mais je n'y arrivais jamais et à chaque fois je laissais mes cheveux détachés trop fatiguée pour les coiffer autrement.
Chaque élastique arraché me rappelait un peu plus de façon inconsciente la position dans laquelle j'étais.
Ma solitude en tant que fille et que fille.
Ces fois où son départ de la maison résonnait encore plus fort que la cavalcade du mois de juin.
Je n'ai pas de maman.
Je n'ai pas de maman.
Je n'ai pas de maman.
Personne pour me tirer les brins et les transformer en couronnes de fleurs.
Personne pour me parler des aléas de la vie avec toute la tendresse et la prudence dont une génitrice était capable.
J'aimerais jouer au mélancolique et prétendre que ce manque était un trou béant dans ma poitrine et ma vie.
Peut-être qu'il l'était mais que j'ai toujours refusé de le voir.
Peut-être que j'avais trop peur que mon père m'en veuille de ne pas considérer tout ce qu'il me donnait comme étant suffisant.
Pourtant je n'avais pas l'impression de tant souffrir de son absence.
Elle ne me manquait que lorsque je n'avais personne pour me faire des tresses africaines.
Ou lorsque je n'avais pas reçu de câlins depuis plusieurs années.
Je ne savais même plus qui me manquait à ce stade.
Ses doigts et la série télévisée qu'on regardait quand elle me peignait.
L'odeur de ses yaourts nature qu'elle mangeait après le dîner et avant le coucher.
La couleur de ses cheveux sombres comme l'onyx possédant des ondulations aussi douces que les vagues de l'Atlantique.
Ou une mère tout simplement.
Quelqu'un à qui parler que j'aurais pu aimer et qui m'aurait aidé avec toute l'affection dont je manquais.

Le fait est que j'étais toujours la fille aux cheveux détachés.
Parce qu'elle n'avait pas de maman pour les lui attacher.

Les temps ternes Où les histoires vivent. Découvrez maintenant