Les bouffons (Wish you back) // Hyunsung

7.

Now

« Pourquoi t'es là, Jisung ? »

Je me suis mordu la lèvre, mes doigts jouant avec les bagues que je portais aux doigts. J'avais envoyé ce message sur un coup de tête, l'esprit embrumé par l'alcool et la drogue. Quand j'ai émergé le lendemain il était dix-sept heures et j'avais reçu un message. Tu m'avais envoyé ton adresse.

Qu'est-ce que ça m'avait fait bizarre de voir cette notification sur l'écran cassé de mon portable. Je n'avais jamais eu le cœur de changer ton nom. Tu étais resté 'Jinnie <3' pendant ces trois ans.

« Je ne sais pas. »

En vérité je savais. Je savais très bien ce qui m'avais poussé à t'envoyer ce message ce jour-là précisément plutôt qu'un autre. Pourtant j'avais souvent fini ivre mort pendant ces trois ans. La tentation avait été forte, mais Chan et Changbin m'avaient tenu à l'œil. Cette fois-ci ça avait été eux qui m'y avait encouragé.

« Tu dois bien savoir, Jisung. »

J'ai senti l'agacement pointer dans ta voix.

« Tu m'as demandé si j'allais mieux, ais-je dit d'une voix faible.

- Tu m'as dit que ça dépendait du référentiel.

- Sur le référentiel pro ça va mieux que jamais, ma mixtape marche bien. Je suis en train de bosser sur un album solo après celui avec les gars.

- Je suis content de l'entendre, Jisung. »

Je t'ai jeté un coup d'œil, tu étais assis sur ton grand fauteuil blanc, les jambes croisés, ton regard profond fixé sur moi. Je t'ai souri, tu as souri en retour.

« Sur le référentiel de l'alcool ça va mieux aussi, parfois ça revient sans que je puisse y faire grand-chose, la drogue pareille mais... »

Je me suis reculé sur mon fauteuil et j'ai passé une main sur mon visage.

« Mais je m'en sers plus comme d'une échappatoire. »

Et maintenant on arrive au mauvais moment.

« T'as écouté 'Run' ? »

Je t'ai vu hocher la tête sans rien dire en me mordant la lèvre.

« Tu l'as écrite y a longtemps ? m'as-tu demandé d'une voix douce.

- C'est la dernière que j'ai écrite. »

Sous-entendu : c'est celle qui est le plus proche de mon état actuel. Je t'ai senti te figer à côté de moi. J'ai tourné la tête. Je n'avais pas la force de supporter ton visage froissé.

« Jisung...

- Je sais, c'est pathétique.

- Non ça l'est pas. Tu as juste besoin d'aide-

- D'aide ? (J'ai rigolé d'un rire sans joie.) Crois-moi que j'ai toute l'aide qu'il faut. Mais ma psy m'a dit qu'il fallait que je me détache de mon passé. Donc de toi.

- C'est pour ça que t'es là ? »

Ta voix tremblait. Ça m'a surpris.

« Et si j'ai pas envie que tu te détaches ?

- T'es pas sérieux, Hyunjin. »

J'ai enfin osé lever les yeux vers toi. Les tiens brillaient. Je n'ai pas compris. Après tout ce que je t'avais fait, Hyunjin. Tu ne pouvais pas être sérieux.

Then

Jisung a fait une connerie. Il s'en veut, atrocement. C'est idiot, ridicule. Il a tout ce dont il a toujours rêvé : un job qui lui plait, des amis incroyables qui remplacent sa famille dysfonctionnelle, un copain qui est prêt à tout pour lui ; et pourtant il s'obstine à tout gâcher.

Hyunjin est assis sur le perron de la maison de l'inconnu chez qui ils passent la soirée. Il a la tête dans les mains, ça fait cinq minutes qu'il est comme ça et qu'il ne bouge pas. Jisung est debout devant lui, il pleure sans s'arrêter depuis trop longtemps pour en donner une estimation précise. Son corps entier ne fait que trembler, il aimerait se calmer car il sait que l'instinct de Hyunjin va finir par prendre le dessus, qu'il va finir par se lever, le prendre dans ses bras et lui assurer que c'est pas grave.

« C'est arrivé combien de fois ? »

La voix de Hyunjin s'élève par-dessus les reniflements de Jisung qui déglutit difficilement.

« Une fois. »

Hyunjin relève la tête et son regard blessé rencontre celui de Jisung qui détourne le regard, incapable de faire face aux conséquences de son action.

« T'étais bourré, » chuchote Hyunjin plus pour lui-même que pour Jisung.

Il fixe maintenant le carrelage de la terrasse. Les basses de la musique commerciale pourrie se font entendre depuis l'intérieur, cognant dans leurs cages thoraciques, faisant vibrer leurs tympans.

« T'avais fumé ? »

Jisung hoche la tête mais il aimerait pouvoir dire à Hyunjin que ce n'est pas une excuse, que ça ne change rien, qu'on ne peut pas effacer le passé. Il l'a trompé, et rien de ce que pourra dire Hyunjin ne viendra changer cela. Mais il ne le dit pas. Il ne le dit pas parce qu'il ne peut pas vivre sans Hyunjin. Comment survivra-t-il s'il n'y a personne pour lui rappeler de prendre ses cachets, s'il n'y a personne pour le soutenir dans tout ce qu'il entreprend, s'il n'y a personne pour lui souhaiter bonne nuit tous les soirs ?

« J'ai besoin de temps pour réfléchir, Jisung. »

Le rappeur hoche la tête vivement en passant sa main sous ses yeux. Hyunjin s'est levé et le regarde, les mains dans les poches de son jean. A vrai dire, il ne le regarde pas vraiment. Il le fixe sans le voir, ses yeux perdus dans le vide.

« Je suis désolé, murmure alors Jisung d'une voix étranglée.

- Je sais, » souffle Hyunjin en retour et il relève la tête.

Jisung plaque sa main sur sa bouche et tourne la tête vers le côté. Incapable de tenir son regard. Il fixe encore les brins d'herbes jaunis par la chaleur de l'été lorsque Hyunjin tourne les talons pour s'engouffrer dans la maison enfumée et pleine de jeunes fêtards pour la plupart complètement arrachés.