Bicéphale

3 - Jawed

J'arrive à la fac.
J'ai mal aux pieds. Faire tous ces allers-retours tous les jours d'une heure en Dr Martens c'est pas la meilleure des idées.
Il est encore tôt mais je commence à croiser plein d'étudiants.
Je rejoins ma classe.
Je m'assois au troisième rang contre le mur. Le mur est frais et je peux dessiner en toute discrétion.
Cet après midi je dois aller à l'amphithéâtre.

***

La sonnerie retentit.
C'est la pause du midi. Je vais acheter quelque chose au supermarché du coin.
Sur le chemin, malgré le paysage plutôt bourge, la vitrine de ce matin me revient en tête.
Le garçon aussi. Je ne sais pas si c'est ma veste mais j'ai l'impression d'avoir chaud, d'un coup.

J'arrive devant la grande surface, entre dans le magasin et me dirige vers le rayon des pâtes.
Un détail retient mon attention une fraction de seconde : une chevelure rouge décolorée. Fausse alerte, ce n'était pas le garçon de ce matin.
Je me sens con, qu'est-ce qu'un Va-nu-pieds ferait dans un magasin pour Oseilleux ?

Après ces quelques secondes de réflexion, je me retrouve devant une large rangée de réfrigérateurs pleins à craquer.
Je me prend une boîte de farfalle végétariennes. Quasiment toutes les autres boîtes contiennent du porc, c'est légèrement contraignant au quotidien.
Je me rends à la caisse et paie ma nourriture.
Je reprends mon chemin en direction de la fac, histoire de profiter des micro-ondes.

Arrivé à l'établissement, je me réchauffe mon plat industriel et commence à manger. Je trouve que c'est fade. Le nutri-score affiche E. Ce n'est pas si étonnant.

Le plat m'écœure rapidement et je décide de me mettre à dessiner.

J'adore dessiner au stylo bille. Avec les quatre-couleurs on peut arriver à de très bons résultats.

J'essaie de trouver de l'inspiration mais un sujet unique me vient en tête: le garçon de ce matin.

Je me souviens parfaitement des moindres détails de tout son visage: un petit front laissant afficher de gros sourcils assez bien taillés, des yeux tombants ornés de longs cils noirs contrastant parfaitement avec ses yeux d'un vert presque transparent, un nez retroussé menant à une petite bouche aux lèvres gercées par le froid, et, un peu partout sur son visage, un acné maladroitement dissimulé à l'aide de fond de teint ou divers maquillage.

Une fois le dessin fini, je le contemple et l'admire : je suis fier.
Pourquoi je l'admire ?
Je ne sais pas mais toujours est-il que je n'ai jamais admiré quelqu'un comme ça auparavant.

***

J'ai fini les cours, et prend le chemin du retour.
Je me dirige alors vers le village Va-nu-pieds afin de rentrer chez moi. Inconsciemment, comme guidé par un quelconque esprit, je prends le chemin passant devant l'antiquaire.

Je l'aperçois dans sa boutique, seul face à un livre. Je le contemple tout en marchant, mais une sensation de remord me prend lorsque je m'éloigne dudit garçon.

Je rentre chez moi, la boule au ventre et me dirige vers ma chambre sans même manger.
Je sors le dessin que j'avais calé dans mon pc.
J'aurais dû aller lui parler quand j'y pense.
Oh et puis non, si je venais à lui adresser la parole, ma famille me renierait, ce serait pour eux un affront impardonnable que j'adresse la parole à un Va-nu-pieds.

«N'empêche qu'il est charmant...» je pense, en sortant mon paquet de mouchoirs.