1. El diablo

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Le couteau tranche d'un mouvement sec la tomate cœur en deux. Son jus rouge dégouline sur la planche, se mélangeant aux restes de chair déjà taillée, avant que du revers de la main, Rosa ne ramène le tout au milieu.

- Ce que tu racontes n'a pas de fondement ! Tes arguments sont indéfendables !

- Pas de fondement ?!

Tout en coupant sa préparation pour le repas dominical, ma meilleure amie se tortille sur notre banc. Etant donné que nous traversons des records de températures ces derniers jours, ses joues sont légèrement rouges, son visage moite et les quelques mèches qui dépassent de son foulard en soie lui collent aux joues.

- Oui. La Loi, ça te dit quelque chose ? Elle repose sur des fondements justes et des valeurs...

- Religieuses, la coupai-je en évitant de justesse la pointe de son couteau qui manque de me crever un œil.

- Ay no! Ne mêle pas Dieu à ça, jeune fille !

Je rabats doucement sa main armée sur ses condiments.

- Excuse-moi, Rosalinda Maria Santa Lucia Jimenez, enfant du seigneur tout-puissant.

Nous rions toutes les deux de son long prénom composé inspiré des télénovela préférés de sa mère et sa grand-mère.

Je bois une gorgée de la limonade maison que ces dernières ont préparée. Il y en a des litres en stock. Chez les Rimenez, on ne manque jamais de rien car il y a toujours du monde qui passe la porte. Que ce soit les voisins, les cousins, les oncles et tantes ou moi. Ces derniers temps, il fait une chaleur insoutenable à la Nouvelle-Orléans qui plus est, et si j'adore Rosa, j'aime encore plus le fait qu'elle ait une tonnelle dans son jardin, un frigidaire qui marche et des ventilateurs de plafond qui brasse de l'air frais plutôt que de l'air chaud.

- Veux-tu bien me rappeler à qui on prête serment, une main sur la BIBLE au tribunal ? continué-je.

Elle lève les yeux car je viens de mettre une balle dans son camp.

- Oui, et ? La séparation de l'Eglise et l'Etat, John Locke, les 30 satanés crédits avec Monsieur Mörgen en première année sur le principe de Laïcité, ça te parle ?

Comment oublier toutes ces heures rébarbatives autour du système constitutionnel et des bases du droit commun. De la stimulation intellectuelle à l'état brut qui a provoqué à toute ma promo des nuits d'insomnies et des crises de paranoïa.

- La Loi devrait tout couvrir ! Pas le seigneur, protesté-je.

- C'est pourquoi on a recours à la jurisprudence ! Rien de très raccord avec le Saint Esprit, tu noteras.

- Je dis juste que c'est paradoxal de promettre une parfaite équité et laïcité quand tu as Dieu au-dessus de ta tête, la Bible sous ta main et que c'est un juge et des jurés qui te condamnent. Admets que c'est légèrement contradictoire.

Elle repousse les brindilles de cheveux qui lui collent à la peau avec le dos de sa main et reprend sa découpe, les yeux dans le vague.

- Tu as raison, peut-être que la forme est là. Mais dans le fond, je pense que le Seigneur est là pour rappeler que l'homme est plus profond et nuancé que ça.

- C'est clairement à cause de ce genre de réflexion que des criminels s'en sortent en toute impunité.

- No estoy de acuerdo para nada ! s'écrit soudainement une voix. Ta copine raconte des conneries, Rosalinda, et toi tu la laisse dire !

Depuis son fauteuil, abuelita nous interrompt. Comme le salon est ouvert sur la véranda où Rosa et moi nous trouvons pour cuisiner, elle a tout entendu de notre conversation. L'épisode de télénovela qu'elle regarde ne doit pas être assez palpitant de rebondissement incestueux pour qu'elle s'y intéresse. Même si elle est bien connue pour être une mère maquerelle aussi.

La Princesse de la MafiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant