4. Individue retrouvée (1/2)

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Exception faîte de ce petit évènement étrange, tout se déroule avec une rapidité étincelante. Je fais mon job comme il est stipulé dans mon contrat, en "souriant" et en répondant aux demandes de chacun dans "un bref délai". Le seul désagrément est qu'à chaque nouveau client, je ne peux me retenir d'effectuer une légère et infime analyse, juste pour me tester.

Zéro pointé.

[Tu passes me chercher ? Mon père est en rdv, il m'a complètement zappé]

Je souris au message de Rosa et lui répond que, malgré les tendances de ma vieille auto à tomber en panne, je passerai la prendre juste après mon service pour qu'on se rende à l'université.

- Excusez-moi, y'a pas d'pailles dans l'distributeur, indique d'une voix macabre une jeune fille au look gothique.

Rien que pour échapper à ses lentilles de contact qui lui donnent des yeux dilatés de chat et qui réfléchissent une lumière bleue, je me précipite dans l'arrière-boutique. Et c'est à ce moment que je l'aperçois ; la fille décrite par mon riche client énigmatique de tout à l'heure. Comment ne pas la remarquer ? Dans l'étroite arrière-boutique qu'est celle du Scrigno, c'est impossible de louper qui que ce soit. Elle porte sur elle cette espèce de veste en cuir rouge avec des pins multicolores au niveau de la poitrine, un petit sac à dos en cuir noir au bout du quel pendouille un petit gant de boxe et un crucifix en diamant. Sur sa tête, j'aperçois des lunettes de soleil en oeil de chat avec un logo en or si gros que je me doute du prix de ce machin. Et avec ceci, l'une des plus petites jupes plissées qu'il m'ait été donné de voir, et des cuissardes à lacets aussi hautes que ses jambes. Ses petites boucles brunes qui tombent tout juste sur ses épaules sont autant frénétiques que son petit corps d'adolescente. Elle cherche quelque chose et je m'alerte lorsque sa position se fige sur mon sac caché derrière la boîte de pailles en carton. Je fronce les sourcils et me rapproche d'un pas décidé vers elle. Mes chaussures ne faisant pas un bruit, elle ne m'entend pas venir et plonge sa main derrière la boite pour attraper mon sac.

- Tu cherches quelque chose ?

Elle recule en sursautant et la petite fouineuse devient l'écureuil sur la route, effrayée par les phares de voiture en pleine nuit. Elle a de long cil noir, des pommettes rebondis et un rouge à lèvre mate. Son visage rond et pomponné se fige comme celui d'une poupée de porcelaine, presque innocemment. Mais je ne cède pas sur ma posture supérieure. Après tout, je suis plus âgée qu'elle, et beaucoup plus grande.

- Tu veux peut-être un peu d'aide ? demandé-je en me calant contre l'embrasure, une main sur la hanche.

Je vois qu'elle respire de plus en plus rapidement, prise de panique. Ses yeux noirs me fouillent, à la recherche d'une quelconque amabilité et passibilité de ma part.

- Ou tu préfères que j'appelle la police ?

Sa respiration fiévreuse change imperceptiblement pour devenir plus sereine. Ses sourcils se relève et avec une forme de dédain, elle balaie une fausse poussière sur son front et me répond :

- La police, sérieux ?

- Oui, la police, insisté-je. Non seulement parce que j'ai foi en nos institutions mais aussi parce que tout crime mérite sanction.

Ses yeux tombent sur ma silhouette, de haut en bas, puis de bas en haut et méprisante jusqu'au bout, elle rétorque :

- T'es vraiment qu'une putain de blanche.

C'est à ce moment que je remarque l'accent italien sous sa langue. Je me redresse en encaissant son insulte à mon égard. Ce n'est pas la première fois que l'on me rappelle ma couleur de peau. Mais c'est bien la première fois que je tombe sur une sale petite voleuse qui n'a pas peur de se faire arrêter. Comme si je la menaçais de l'envoyer en colonie de vacances.

- Excuse-moi, comme tu parles pas très bien l'anglais, j'ai pas compris ce que tu disais, marmonné-je en faisant mine de tendre l'oreille. Tu préfères qu'on appelle ton père, c'est ça ?

Sa respiration fiévreuse change imperceptiblement en ce qui ressemble à de la colère. Elle se raidit et sourcille.

En pratique de cas, on nous a expliqué qu'un enfant qui a plus peur de ses parents que des hommes en bleu armés, c'était un enfant qu'il fallait davantage protéger. Et je me sens mal dès que je vois l'effet que ça lui fait.

Roh et puis, qu'est-ce que j'en ai à foutre, d'abord ?

- Fiche-moi la paix ! crie-t-elle avant de me pousser brutalement contre les étagères.

La violence de son geste me désarçonne plus que la douleur recherchée. Le temps que je me remette de mes émotions, elle a disparu, laissant sur son passage une poudrée d'un parfum à l'arôme vanille.

- Ça va aller là-dedans ?

Christopher, le fils du gérant, entre dans l'arrière-boutique, alerté par le boucan que j'ai causé. Je ne l'ai vu que rarement parce qu'il étudie en parallèle. Si son père est un homme silencieux et grognon, lui a un visage charmeur qu'on n'oublie pas et une carrure de boulanger bosseur qui prend aussi soin de son physique. Il est toujours rasé de très près, ses cheveux coupés façon militaire, il se tient aussi droit que s'il en était un. Et il ne pue pas le sucré et les fleurs à l'inverse de son géniteur. Il sent même très bon. Il est même toujours propre. Et je ne lui ai toujours pas répondu.

- Oui ! dis-je un peu trop fort. J'amène mon poing à ma bouche et m'éclaircis la voix : J'ai trébuché. Je cherchais juste...

Je prends la boîte de paille et la secoue comme si elle pouvait parler à ma place. Son regard sombre et épieur tombe à mes pieds pour voir sur quoi j'ai pu trébucher, avant de revenir se poser sur mon visage. Des rides moqueuses apparaissent autour de ses yeux quand il comprend que je viens d'inventer une excuse. Pourquoi ai-je fait cela d'abord ? Je ne dois rien à cette petite peste à papa, cleptomane qui plus est. Le seul trésor qu'elle aurait vraiment pu trouver dans mon sac sont mes clés de voiture. Et elle aurait très vite regretté dès qu'elle aurait vu qu'il faut être titulaire d'un doctorat en génie mécanique pour la démarrer.

- Je vais prendre le relai alors, annonce-t-il, méfiant et amusé. Il sera bientôt 8H, tu peux y aller.

Il saisit la boîte de mes mains. Je défais silencieusement mon tablier « Scrigno » et il a la politesse de faire semblant de s'intéresser à autre chose que moi. Il ne doit pas avoir plus de 25 ans, et pourtant il m'intimide. Il a cet air impartial imprimé sur ses traits, comme s'il avait déchiffré le moindre de mes secrets, et qu'à la moindre erreur, il comptait s'en servir.

- Bonne journée ! À demain ? balancé-je par-dessus mon épaule.

S'il y a bien une chose que j'ai apprise avec tous les petits jobs que j'ai effectués, c'est que le « À demain » est primordial dans une relation professionnelle. Il assure à votre boss que vous reviendrez et vous vous assurez aussi que votre boss voudra bien de vous le lendemain.

- À demain, me répond-il.

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Hello, j'espère que ce chapitre vous a plu, la suite très vite ^^

Bisous,

Emilie.

La Princesse de la MafiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant