Chapitre 2.2 - Alma

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De nos jours.


- Alma..? Tout va bien ? demande Rafael, soudainement réapparu sur le trottoir.

Quoi ? Oh oui, l'aéroport, le taxi. Mon dieu.

Et Rafael.

- Euh oui, désolée, le décalage horaire.. , répondis-je gênée.

J'espère qu'il n'a pas deviné à quoi je pensais. Par pitié.

Face à moi, armé d'un sourire ravageur il me répond:

- J'imagine oui.

- Tu te fous de moi c'est ça ?

- Absolument pas, ce serait contraire à mon éthique tu le sais bien, ricane t-il.

Il s'agrippe encore à sa valise, comme pour empêcher son corps de faire le moindre geste vers moi. Ses doigts sont maintenant devenus blancs, dépourvus de sang.

- Ca me fait plaisir de te revoir. Je n'aurais pas espéré mieux en revenant ici, continue Rafael.

Ses yeux reflètent toutes les étoiles du ciel. Je ne lui avouerai pas mais je suis également contente de le revoir. Surtout heureuse qu'il se souvienne de moi après tout ce temps.

Car oui, je n'ai jamais vraiment pu l'oublier. Par fierté et certainement accablée par la honte d'être partie sans le prévenir, je n'ai jamais repris contact avec lui. J'aurai pu.

Et je l'ai voulu tellement de fois.

Mais je ne l'ai jamais fait. Combien de fois je me suis demandée ce qu'il serait advenu de nous si je ne m'étais pas enfuie. Et lui ? Avait-il eu envie de reprendre contact avec moi, m'envoyer un message ou espéré une seule seconde me revoir?

Je ne pensais pas avoir une réponse un jour. Peut être en aurai-je une bientôt, si j'ose lui poser la question.

Mais pas maintenant. Non.

- Je t'avoue que je ne pensais pas non plus te voir ici. Je croyais que tu étais parti définitivement... Pourquoi tu reviens travailler ici ?

Il hésite un moment, je profite de ces secondes de silence pour lui jeter un regard perçant. Il me déstabilise, alors je le fais aussi.

- Il fallait que je bouge. Quand on m'a proposé un poste ici, j'ai sauté sur l'occasion. Après tout, je n'ai pas que des mauvais souvenirs ici...explique-t-il, les yeux toujours rivés sur moi. Si on m'avait dit que je trouverais ici, j'aurais signé plus tôt, continue Rafael.

Toujours aussi provocateur. Malgré tous mes efforts pour lui montrer que je ne suis plus l'adolescente qu'il a connu il y a dix ans, inexpérimentée, timide et maladroite... Je perds tous mes moyens et ma bouche peine encore à émettre des sons.

Une notification de mon téléphone me fait sursauter.

- Oh non, c'est pas vrai.

Rafael, interrogateur, hausse l'un de ses épais sourcils noir.

- Mon taxi a annulé sa course.

Bordel. Il fallait que ça arrive maintenant. Lily est surement en train de dormir à cette heure, je ne veux pas la déranger. Je lui ai dis que je me débrouillerai toute seule.

- Viens avec moi, propose Rafael. Je demande au chauffeur de faire un détour.

- Non, je vais en trouver un autre, ne t'inquiètes pas.

- Allez, ne sois pas idiote. Je vais quand même pas te laisser rentrer seule en pleine nuit. Je manquerai fortement à mon devoir...

Le suivre ? Dans le taxi ? Je ne crois pas non. Je suis assez troublée comme ça. Dans quel état je vais être dans la voiture ? Non.

- Je t'assure, ça va aller.

- Alma. Viens. Il y aura largement assez de place pour nous deux. Allez, dit-il en me tendant sa main.

Qu'est-ce que je dois faire ? Mettre ma main dans la sienne et rester à l'arrière d'une voiture avec lui...Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Peu importe. Il faut que je rentre de toute manière et je ne veux pas lui montrer qu'il me trouble, hors de question.

- D'accord, répondis-je.

- Toujours aussi têtue à ce que je vois.

Je lui tire la langue, provoquant chez lui un rire incontrôlé.

- Tu n'as vraiment pas changé, dit-il.

Je prends soin de ne pas saisir sa main, qu'il passe dans ses cheveux, décontenancé. Il se contente d'attraper sa valise et nous marchons en direction de son taxi qui l'attendait depuis cinq bonne minutes. Il échange quelques mots avec le chauffeur, lui expliquant certainement qu'une passagère clandestine allait se faufiler dans son véhicule.

Rafael m'adresse un clin d'œil pour me faire comprendre que ça ne pose apparemment aucun problème. Nos affaires mises dans le coffre, il ouvre la portière arrière gauche et me fait signe de monter.

- Tu sais je peux ouvrir une portière toute seule.. Mais merci, lui dis-je en réprimant un sourire.

- Ne te plains pas, des gars comme moi ça court pas les rues. Profite, répond Rafael en haussant les sourcils.

Je m'assois sur le siège, agréablement surprise par la chaleur qui règne à l'intérieur. Je ne m'en suis pas rendue compte mais mes ongles sont complètement bleus. Forcément, je suis si peu vêtue.... Un frisson parcoure ma colonne vertébrale et me fait trembler jusqu'aux orteils.

Rafael, monté entre temps à l'arrière lui aussi, s'en aperçoit.

- Tu veux une veste ? Je dois avoir ce qu'il faut dans la valise

-Ca va aller. J'abuse déjà de ton taxi...

- Abuse de ce que tu veux, ça ne me pose pas de problème.

Je réprime un sourire et soupire doucement. Le chauffeur appuie sur l'accélérateur et commence à rouler. Je ne sais pas exactement à combien de temps se trouve la maison de mes parents... Mais me voilà vouée à rester à l'arrière d'un taxi avec lui.

J'aurais rêvé d'un moment comme celui-ci il y a plusieurs années...

J'aurais rêvé de n'importe quel instant, tant que je le passais avec lui.

Mon corps retrouve peu à peu sa chaleur habituelle, mes doigts engourdis par le froid reprennent une couleur normale. Je m'efforce de regarder à l'extérieur, alors que je sens sur moi le regard brûlant de Rafael. Je n'ai même pas besoin de tourner la tête pour savoir qu'il me fixe. Je le sens. Mon corps tout entier l'a remarqué, l'a reconnu même après toutes ses années, mettant tous mes sens en éveil.

Ne te retourne pas, regarde dehors.

Si je le vois, je ne sais pas ce qu'il pourrait advenir de nous... Pas sûre que ça plaise au chauffeur.

Rafael ne fait aucun mouvement, immobile. Le bruit sourd du moteur bourdonne dans mes oreilles. J'ai l'impression que ma tête tourne, j'ai chaud. Trop chaud. Mes doigts froids il y a quelques minutes sont désormais moites. Je me liquéfie.

De longues minutes passent, combien je ne sais pas, je perds complètement la notion du temps. Le chauffeur stationne son taxi juste devant le portail de la maison. Je fixe un moment la bâtisse, un pincement au cœur.

Rafael pose sa main brûlante sur mon épaule. D'un sursaut, je tourne la tête vers lui. Merde, je ne pensais pas que sa tête serait aussi proche de la mienne. Je peux sentir sa respiration saccadée.

- Ca va aller? me demande-t-il.

- Oui, merci.

Tu crois qu'on pourrait se revoir?  Voilà ce qui est resté coincé dans ma gorge trop serrée pour dire quoique ce soit. Je crois lire la même chose dans ses yeux. Mais aucun de nous deux ne décroche un mot. Je me contente d'ouvrir la portière, mettre un pied devant l'autre et marcher droit. Rafael a tout juste le temps de descendre de la voiture. Je ne lui adresse pas un seul regard.

Je suis de retour à la maison.

Je continue mon chemin doucement, certaine que Rafael ne loupe aucun de mes pas.

Souviens toi de nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant