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Kaguya retint sa respiration.

La sueur perlait sur son front. Pas à pas, elle descendit le grand escalier, une main agrippée à la rambarde branlante, l'autre plaquée contre ses lèvres. Kaguya leva les yeux. L'obscurité régnait dans le couloir, déchirée par les rayons de la lune qui s'engouffraient entre les volets abîmés. Le silence était assourdissant et elle était effrayée à l'idée de le briser. De le réveiller.

Kaguya grimaça.

Elle avait attendu toute la nuit. La veille, elle s'était blottie sous la couette, le ventre vide, noué d'angoisse. Elle n'avait pas touché au plateau qu'il lui avait apporté. Elle n'avait rien dit, ne l'avait pas regardé. Il avait déposé des vêtements rapiécés sur le petit tabouret, au pied de son lit, et s'était éclipsé en s'excusant, comme un enfant. Kaguya n'avait pu s'empêcher de le trouver rassurant. Mais elle se méfiait des ombres qui se cachaient derrière son sourire.

Faisant glisser ses pieds nus sur le parquet, elle s'avança dans la cuisine. Les battements désordonnés de son cœur l'obsédaient, l'oppressaient. Le sang pulsait à ses oreilles, couvrait le bruit de ses pas. Elle était terrifiée. Elle devait s'enfuir. Disparaître. Avant que le monstre n'émerge de ses yeux bleus.

Kaguya serra les dents. Elle n'avait pas d'autre choix que de continuer, de poser un pied devant l'autre, jusqu'à l'étroite porte qui l'appelait, tapie dans le noir, face à elle. La jeune femme déglutit avec difficulté et, alors qu'elle dépassait l'imposant buffet, se figea.

Il était là, dans un coin de la pièce, allongé sur une minuscule paillasse, la tête posée sur l'un de ses bras repliés. Il dormait. Et sur son visage apaisé, elle aperçut une douceur qui la troubla. Kaguya se détourna. Ne pas le regarder. Ne pas se laisser envoûter par ses illusions, ses mirages.

C'était un homme d'en bas. Un kare. Un chien.

Dans ses veines coulaient un sang contaminé, un venin hérité de ses ancêtres, tous bourreaux de rois ou princes imposteurs. Né de l'Abîme, il était de ceux qui trahissent, de ceux qui haïssent. Il était de ces autres qui avait choisi les affres de la vie terrestre à la beauté des cieux. Il était de ces monstres qui avait arraché de leurs mains la tête sacrée de Sama. Et qui s'étaient abreuvé de son sang.

Kaguya réprima un cri de rage.

Comment osait-il la regarder, la soigner, lui sourire ? Et comment, par tous les Saints, pouvait-il avoir les yeux bleus ? Inspirant profondément, Kaguya refoula la vague de colère qui menaçait de la submerger. Elle jeta un coup d'œil derrière elle. Il dormait toujours à point fermé. Même éveillé, il avait l'air épuisé. Les profonds cernes qui creusaient ses joues semblaient indélébiles.

Kaguya ouvrit la porte.

Une bouffée d'air frai lui caressa le visage. Les collines, noyées dans l'obscurité, ondulaient sous la faible lumière de la lune. Des centaines d'étoiles trouaient le ciel d'encre. Les prés étaient habités par le chant des insectes. Une chouette hulula. L'humidité faisait plainer dans l'air l'odeur de la pluie. L'orage se profilait à l'horizon.

Le cœur battant à tout rompre, Kaguya ferma la porte et s'élança dans la nuit. Ses pieds nus écrasaient l'herbe haute. Le vent la poussa dans la descente et, soudain, elle fut envahie par le soulagement. Elle avait réussi. Les larmes gonflèrent ses paupières. Essoufflée, elle serra les dents et accéléra. Encore. Les lumières de Jahan'nama perçaient l'obscurité, guidant ses pas. Là-bas, elle trouverai de l'aide. La ville était un gigantesque labyrinthe dans lequel rôdaient les ombres. L'idée de s'y perdre l'inquiétait, mais elle savait aussi qu'elle pourrait y apercevoir des visages familiers.

Mala'ika | La Chute du zeppelinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant