Kaguya ferma le tiroir.
Elle soupira. Passant sa main sur le plateau rayé de la vieille commode, elle chassa la poussière qui s'agglutinait autour des bibelots. De petites figurines grossièrement taillées dans un bois sombre formaient une ronde désordonnée autour d'une orchidée aux fleurs fanées. Une boussole à l'aiguille rouillée se fondait dans l'ombre d'un globe terrestre datant de l'Ancien Monde. Kaguya fit tourner la sphère en papier mâché, puis suivit les courbes de son socle de laiton du bout des doigts.
Elle s'ennuyait.
Seule dans la petite maison silencieuse, elle était hantée par ses incertitudes. Elle se revoyait, terrée sous le bureau de son père, le cœur battant et le souffle court. Les bruits de pas, le canon du révolver, puis la douleur. Il avait tiré.
Kaguya déglutit et porta instinctivement la main à son ventre, effleurant la cicatrice encore sensible sous sa robe.
Qu'était devenus ses parents ? Et Masato ? Étaient-ils toujours en vie ? L'idée qu'ils puissent disparaître sans un mot lui était insupportable. Ils avaient survécu. Il ne pouvait en être autrement. Kaguya prit une longue inspiration pour repousser l'angoisse qui menaçait de la submerger.
Elle rentrerai. Bientôt.
Elle les retrouverai, là-haut. Elle traverserai le petit salon et les rejoindrai dans le jardin. Sa mère serait allongée dans son hamac à frange, tandis que son père lui lirait le dernier roman en vogue depuis son vieux rocking-chair. Plus loin, allongés aux pieds du grand tilleul, Masato et Andrei se murmurerai des mots d'amour. Immobile sous le porche, Kaguya savourerai la chaleur du soleil sur sa peau. Puis des mains se glisseraient sur ses yeux, la faisant sursauter.
Dmitriev.
Elle avait déchiré sa dernière lettre.
Kaguya se laissa tomber sur le lit. Les regrets lui nouaient la gorge, l'oppressaient, l'étouffaient. Ses poumons comprimés lui faisaient mal. Pressant ses doigts tremblant sur ses paupières, elle réprima ses larmes. Elle ne les pleurerai pas. Pas avant de les avoir retrouvés ou perdus à jamais.
Le parquet craqua.
Kaguya se redressa et, après avoir fouillé la petite chambre des yeux, reporta son attention sur le globe. Loid avait tout un tas d'objets vieillots. Des cartes, des instruments de navigation, des rouages et quelques appareils désossés. Il les accumulait, les rangeait dans des boîtes cabossées qu'il empilait dans ses placards. Kaguya soupira. Dmitriev aussi avait la fâcheuse habitude de garder tout ce qui lui passait sous la main. Il disait que cela servirait ou bien que cela aurait de la valeur plus tard. Plus tard.
Kaguya se leva.
Elle ne pouvait s'empêcher de penser à lui, à cette lettre. A ces mots qu'elle n'avait même pas daigné lire. Ces quelques mots qui, pourtant, l'aurait fait sourire. Dmitriev aimait la faire rire. Et, parfois, il y arrivait.
Kaguya fit le tour de la pièce. Elle avait fouillé toutes les étagères, ouvert tous les tiroirs. Cela faisait presque une semaine qu'elle errait entre ces quatre murs. Seule. Loid se levait à l'aube et rentrait tard le soir. Il traînait derrière lui une odeur entêtante d'essence, avait les ongles noirs et de profonds cernes sous les yeux. Ils dînaient ensemble, de temps en temps. Ils parlaient peu. Kaguya brûlait pourtant de lui poser toutes ces questions qui s'entassaient dans un coin de sa tête. Des questions bêtes dont elle avait honte.
Et Kaguya ne supportait pas la honte.
Alors elle mangeait en silence, le regardait. Loid n'osait pas lever les yeux de son assiette. Il était constamment nerveux. Le tremblement de ses doigts la crispait. Il avait tout un tas de tics qui l'agaçaient. Tout un tas de défauts qu'elle détestait presque qu'autant que le fait de les avoir si vite remarqués. Et si peu de conversation.
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Mala'ika | La Chute du zeppelin
FantasyAl'Jannah. Cité de Rois. Cité de lâches. Cité de fous. De ceux qui s'étaient un jour cru capable de défier les Dieux. La chute du zeppelin n'est qu'un début ; et les flammes qui l'ont dévoré de l'intérieur, l'étincelle qui mettra le feu aux poudres...