Loid cracha un nuage de fumée.
Il avait mal. De partout. Adossé contre le mur humide, il faisait rouler une cigarette entre ses doigts abîmés. Le ciel s'était voilé, plongeant la place déserte dans l'obscurité. Loid soupira. Assis à même les pavés glacés, il attendait.
Il la regardait dormir.
Allongée là, par terre, le visage tourné vers l'orage, elle paraissait si fragile. Sa peau de porcelaine ébréchée prenait des teintes bleutés. L'épaisse couche de boue séchée qui souillait ses pieds nus se craquelait, dévoilant de petites plaies ouvertes. Elle était brisée de toutes parts. Comme lui.
Loid passa une main sur sa joue encore brûlante, puis essuya le sang qui maculait le coin de son nez. Neil lui avait jeté un paquet de cigarette et s'était enfuit sans un mot. Il ne s'était pas retourné. Tant mieux. Loid n'aurait pas supporter de l'entendre s'excuser, d'apercevoir les remords qui s'entassaient derrière la façade de ses yeux et qui jamais ne disparaissaient.
Neil avait trop souffert.
Les gamins des rues l'admiraient. Aveuglés par ses sourires, ils s'y étaient agrippés. Ils avaient fait de lui le chef des Écorchés, leur père et leur messie. Ils ne connaissaient pas l'enfant perdu, ni le soldat blessé qui l'habitaient, le hantaient. Ils ne savaient pas qu'un jour, Neil se laisserait sombrer. Et qu'il n'émergerait qu'en pointant le canon de son arme sur l'un d'entre eux.
Loid frissonna.
L'humidité ambiante rafraîchissait l'air, malgré la vague de chaleur estivale qui dévalait les collines pour aller s'échouer en ville. Les courants glacés qui filaient entre les rues faisaient valser les journaux abandonnés et les mégots écrasés. Le tonnerre gronda au loin. L'orage veillait, ses nuages gorgés d'eau s'amoncelant au-dessus des toits.
Loid sursauta.
Elle avait bougé. Étouffant un gémissement rauque, Kaguya fronça les sourcils. Et ouvrit les yeux. Loid se redressa. Son cœur s'emballa. Sans qu'il ne sache pourquoi, il avait la gorge nouée et l'étrange sensation d'être en danger, comme menacé par ces deux billes d'obsidienne qui le fixaient. Kaguya marmonna quelques mots, dans une autre langue, chargés de nervosité. Puis, avec une grimace, elle se hissa sur ses pieds. Chancelante, elle s'approcha de lui et cracha :
— Kare !
Loid la dévisage perplexe. Elle semblait épuisée, au bord de l'évanouissement, mais aussi folle de rage. En colère. Contre lui.
— Lâche !
— Moi ?
— Toi !
Kaguya tomba à genoux. Instinctivement, Loid tendit la main vers elle. Son corps engourdit tremblait, traversé par de violents spasmes qu'elle s'efforçait de réprimer. Ses cheveux lâchés, rendus poisseux par le jus des fruits pourris, éclipsaient son visage. Loid craignit de la voir s'effondrer mais, alors que ses doigts effleurèrent son épaule, elle saisit son poignet et le tira vers elle pour le gifler. Loid ouvrit la bouche, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Sonné, il perçut à peine la douleur qui paralysa sa mâchoire. Il n'y avait plus qu'elle, et ces larmes qui dévoraient ses yeux.
Loid sentit son cœur chavirer.
Elle pleurait. Son ange pleurait. Et il n'osait pas la consoler.
Troublé, Loid fut assaillit de remords. L'amertume qui suintait du coin de ses lèvres pincées l'effrayait. Elle lui en voulait, sans qu'il ne sache pourquoi. Peu importait. Qu'elle lui en veuille de ne pas s'être battu ou de l'avoir laissée s'enfuir, il ne le supportait pas. Et la culpabilité menaçait de l'étouffer. Le cœur battant à tout rompre, il ne pouvait se détourner, ignorer ses doigts qui enserraient son poignet. Sa peau glacée le brûlait, immolait ses douleurs. Elle anesthésiait tous ses sens.
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Mala'ika | La Chute du zeppelin
FantasyAl'Jannah. Cité de Rois. Cité de lâches. Cité de fous. De ceux qui s'étaient un jour cru capable de défier les Dieux. La chute du zeppelin n'est qu'un début ; et les flammes qui l'ont dévoré de l'intérieur, l'étincelle qui mettra le feu aux poudres...