Avec eux

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Entrée 1, Journal de bord

J'ai froid, je suis frigorifiée pour être exact. J'aime être exacte, c'est important de l'être, car tout repose sur ton exactitude. Tout.

C'est pourquoi, je vous avouerai que je ne sais pas quand Ils sont apparus à moi. Dans mon esprit, Ils étaient là depuis ma naissance, c'est-à-dire il y a 16 ans, 10 mois et 4 jours. J'aime être précise, je viens de vous le dire. Mais j'ai commencé réellement à m'intéresser à eux, lors de mon 3e anniversaire, et cette date, je m'en souviendrais toujours. C'était au moment de souffler les bougies. Mon gâteau était énorme, 3 étages, glaçage mauve, ma couleur préférée. Maman et Papa ne chantaient pas ; ils ne chantaient jamais, déjà à cette époque, je le savais. Grande sœur et grand frère, eux se donnaient à cœur joie, mais ce serait la dernière fois, après leur âge leur incomberait de se taire. Et il y avait Patoche, mon grand-père, avec sa barbe blanche et son sourire. Le seul sourire vivant que j'ai pu voir d'un adulte. Je l'aimais mon Patoche, c'est celui qui m'a initié aux histoires. C'est le seul que j'aimerais. Alors que la tradition me demandait de souffler sur les flammes dansantes, j'en ai aperçu un derrière Patoche. Un grand noir avec des reflets argentés. Je n'ai pas eu peur, peut-être que j'aurais dû. Je l'ai fixé un moment, mais Maman l'a fait fuir en me grondant : je devais souffler ! C'est la tradition ! Phrase qui résonnera encore et toujours dans notre demeure.

Patoche est mort le jour suivant. J'ai fait le lien de suite. Cela peut paraître bizarre pour une fillette de cet âge. Non, cela ne l'était pas dans mon cas, car le soir même, Patoche m'avait initié à l'histoire des papillons, disant qu'il m'avait vu en fixer un, lors du goûter. Et tout collait.
Les histoires sont réalités et vivantes, elles se créent au fur et à mesure que les jours coulent, me répétait Patoche. Mon grand-père avait raison.


Entrée 2, Journal de bord

Mes pieds me font mal, ils me torturent, à force de marcher. J'aimerais bien que mon esprit arrête de se focaliser sur la douleur, car je la ressentirais pendant encore longtemps. Amor, où es tu, viens me libérer !

C'en est un deuxième, plus beau, plus grand, plus docile, plus incroyable encore, qui m'aida dans mon deuil. J'avais perdu ma moitié, mon Patoche qui me connaissait. Papa, Maman et les deux autres, n'auraient jamais compris ce que je ressentais. Alors, un bon mois plus tard, est apparu ce deuxième, rose frappant. J'ai eu peur, cette fois-ci ! Allait-il m'annoncer une prochaine mort ? Pas du tout, Il n'était pas comme cela, lui. Il a voleté vers moi, lentement, silencieusement et s'est posé sur ma main. Une chaleur m'a envahi, une chaleur de tendresse et d'amour que je ne connaissais pas. J'ai appris plus tard, qu'elle pouvait être associée à un câlin, mais je ne l'ai jamais vécu de cette manière-là jusqu'alors et je n'ai jamais vraiment aimé, par la suite ce câlin humain.

« Amor », l'amour en latin, c'est ainsi que je l'ai nommé, ce fut lui qui me sortit de mes idées noires. Ce fut lui aussi, qui me présenta à ses congénères, car quand je l'avais accepté, j'avais accepté leur existence à tous.


Entrée 3, Journal de bord

Le désert s'étend encore sur des kilomètres et des kilomètres. Toujours plus grand, je ne suis pas encore arrivé. Ils ne viennent pas jusqu'ici. Je crois qu'ils ont peur de l'étendue et de ce silence, ou alors, ce n'est juste pas leur territoire.

Chez moi, ils m'accompagnaient partout et dans chaque nouvel endroit, j'en rencontrais. Je devais alors apprivoiser ces nouveaux venus, des fois pendant des mois, d'autre pendant quelques minutes. Toujours de la même manière, la main près d'eux, le plus lentement possible. Je les ai nommés, toujours de la même manière : en latin, selon leur fonction. Car ils en avaient tous des différentes, certaines m'aidaient à comprendre les émotions cachées des personnes ou leur problème. Ceux-là se mettaient derrière et voletaient pour que je puisse les voir. D'autres n'étaient-là que pour moi, pour me faire rire comme Risus, pour me consoler tel que Consolatio.

La petite fille qui voyait des papillonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant