Elle esquissa un trait, un autre, puis encore un autre. La langue entre les dents, les sourcils froncés, elle remonta la mèche brune vagabonde qui glissa entre ses deux yeux avant d'éclabousser son tableau de tâches de peinture verte. Elle avait presque fini, elle le sentait, encore un peu de gris...
Un bruit de pas résonna à quelques mètres d'elle. Elle s'immobilisa soudainement.
Tous les sens en alerte, le chien aboya.
Trois coups retentirent à la porte.Elle se leva, droite comme un i, son poul battant à toute vitesse. Elle savait comment réagir à cette situation, elle l'avait déjà vécu de nombreuses fois, de trop nombreuses fois. Elle mit sa toile sous son lit, cacha son matériel parmi ses affaires d'école, enleva son t-shirt de peinture et le jeta à travers la pièce à toute vitesse. Elle bondit sur le coussin dans l'alcôve sous la fenêtre et attrapa le premier livre qu'elle trouva.
- Oui ? Qui est-ce ? demanda la jeune femme nonchalamment, sachant pertinemment qui se trouvait derrière la porte, alors que cette dernière s'entrouvrait.
- C'est moi ma puce, qu'est-ce que tu fais ? Tu as fini tes devoirs ? l'interrogea sa grand-mère en entrant, elle s'assit sur le bord du lit.
Elle posa ses mains légèrement fripées sur sa jupe bariolée de motifs hippie.
- Oui Omé, ne t'inquiète pas, je finissais de lire ce livre pour l'école, assura Valentine en tentant vainement d'enlever la peinture incrustée sous ses ongles.
La vieille femme haussa un sourcil, pas dupe, en fixant son visage. Valentine se tourna lentement vers son miroir et aperçut une trace de peinture verte le long de sa tempe. Elle se retourna inopinément vers sa grand-mère.
- Je faisais de la peinture pour l'école, rien de grave !
Elle déglutit avec un sourire coupable, sentant son cœur s'emporter à nouveau.
- Valentine Baïly ne me mens pas, je te connais par cœur, c'est moi qui t'ai élevé, je sais que tu peignais, l'accusa-t-elle en pointant un doigt vers elle. Oh, et laisse donc ce pauvre Style tranquille.
Omé leva les yeux en l'air et l'adolescente dégagea son visage qu'elle avait enfoui dans les poils de son chien.
- Je sais que tu n'apprécies pas quand je peins parce que ça nuit à mes notes, mais j'ai fini mes devoirs et je...
Omé poussa un long soupir. Même si la vieillesse frappait les traits de son visage, jamais la veille femme n'avait paru en aussi bonne santé.
- Je ne t'empêche pas de peindre mais je préfère que tu fasses d'autres activités plus pertinentes... Occupe-toi dont de ce chien, il est en train de me baver dessus, ordonna-t-elle en se levant et en lui tournant le dos.
- Quoi ? s'exclama Valentine avec une voix aiguë en se redressant vivement. Ça ne te dérange pas que je peigne ?
Elle écarquilla les yeux de plus belle en voyant Omé tourner la tête de gauche à droite.
- On ne dit pas « Quoi » mais « Comment » Valentine, je te le répète depuis que tu es en âge de parler, éluda Omé en remettant une mèche de ses cheveux blancs derrière son oreille avant de quitter la pièce.
Sa petite fille était trop hébétée pour la retenir et pour rétorquer quoi que ce soit. Elle avait le droit de peindre ?
La jeune peintre se jeta sur son lit à plat ventre, faisant glapir de surprise le labrador qui l'observait avec attention. Celui-ci vint nicher sa tête dans le coup de sa maîtresse.
Jamais sa grand-mère n'avait accepté sa passion pour cet art. Elle était la cause de nombreuses disputes entre elles, ce qui la peinait réellement car en dehors de ça elles s'entendaient vraiment bien et s'aimaient profondément.
Elle se releva brusquement. Le mot. Elle se leva, fouilla rapidement dans son sac et partit en courant, son chien sur ses talons.
- Donc si tu es d'accord pour que je peigne... tu... tu seras peut-être d'accord pour que... pour que j'aille à une sortie au... au musée des Beaux-Arts de Nantes ? bredouilla-t-elle en faisant irruption dans la cuisine. On est au début du mois de juin et c'est la dernière sortie avant la fin de l'année et l'année prochaine je passerais les épreuves du baccalauréat de français alors je ne sais pas si j'aurais l'occasion de pouvoir y aller...
Omé poussa un long soupir. Elle posa son éplucheur et la carotte qu'elle tenait entre les mains avant de lever lentement les yeux vers elle. Une profonde lassitude se lisait sur son visage tandis que Valentine joignait les mains en faisant une prière silencieuse. Elle se retint de ne pas faire une grimace à la vue du légume, sa grand-mère ne jurait que par eux alors qu'elle-même n'était pas contre une assiette de frites.
- D'accord si tu veux... Mais que cela ne devienne pas une habitude surtout, n'est-ce pas ma puce ?
La jeune femme poussa un cri strident avant de se jeter sur sa grand-mère et de l'enlacer fort, des aboiements se mêlèrent aux hurlements de joie. Elle lui présenta un mot et un crayon et s'échappa quelque seconde après que sa grand-mère eut apposé son nom sur la feuille, préalablement lu avec grand soin.
Valentine ressortit sa toile de peinture et son chevalet, un sourire pendait sur ses lèvres. Elle chercha le meilleur angle de sa chambre afin que la lumière tombe parfaitement sur son tableau et qu'elle puisse finir son paysage. Son regard balaya la pièce.
Elle avait toujours vécu ici.
Sa chambre était son repère, dès qu'elle avait été en âge elle avait choisi elle-même le lambris beige au mur et la grosse armoire en bois.
L'alcôve était l'endroit qu'elle préférait, sa grand-mère avait confectionné une housse en patchwork rouge qu'elle aimait particulièrement. Elle s'y assit et installa ses affaires. Style s'installa dans son panier, la tête dans les chaussons de Valentine.
Son esprit divagua au fur et à mesure que la peinture affluait sur le tableau. Peu à peu, elle remplit de couleur le chemin qu'elle avait dessiné. Celui-ci était représenté dans une forêt aux couleurs éclatantes, il menait à un arbre dont le feuillage ne pouvait être entièrement représenté dû à sa grande taille. Au second plan, la forêt semblait abstraite, le chemin était le centre du tableau, il donnait envie à l'adolescente de le suivre, d'entrer dans ce tableau pour voir dans quelle contrée magique elle allait arriver.
Elle ne s'auto-proclamait pas artiste, mais l'art avait toujours eu une grande place dans son cœur. La nature et la peinture l'animait.
Même si depuis toujours sa grand-mère lui reprochait et interdisait cette dernière. Omé trouvait qu'elle passait trop de temps à peindre ce qui avait des répercussions sur ses notes, mais ces dernières n'étaient pas mauvaises, la jeune fille sentait que ce prétexte cachait quelque chose de plus profond. De même que son soudain changement de comportement.
Elle en avait encore le cœur qui battait la chamade, les sorties que proposait son club d'art lui était d'ordinaire interdit, elle avait rejoint l'association sans demander d'autorisation. Pareillement, cela faisait des années qu'elle achetait son matériel de peinture avec son peu d'argent de poche ou qu'elle en piquait au lycée dès qu'elle en avait l'occasion. Elle ne comprenait pas ce changement de situation mais peut-être qu'elle pourrait enfin lui parler de cette école d'art qu'elle aimerait intégrer après le baccalauréat – bien que celui-ci ne soit que dans deux ans, elle en rêvait déjà.
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Hello, j'espère que ce chapitre vous aura plu, j'aimerais réellement avoir vos retours tout au long de cette nouvelle histoire 🌺
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L'Armonde
Fantasy- Je ne sais pas où tu es, tonna une voix très proche d'elle. Valentine étouffa un cri et se mordit le poing pour ne pas que le son sorte, des larmes dévalaient à présent ses joues. - Je ne sais pas où tu es, répéta-t-il. Mais ce dont je suis cert...