Chapitre 2.2 : Conversation fortuite

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- Omé ! Où es-tu ? hurla Valentine en entrant en trombe dans la maison.
     Elle réprima soudainement sa joie de vivre lorsqu'une douleur vive lui rappela le coup qu'elle avait subit. Elle se tordit de douleur et se promit de ne plus crier. L'adolescente se décala vivement pour éviter son chien qui courrait à toute allure hors de la maison.
Elle ferma la porte derrière elle et enleva lentement ses chaussures. Elle accrocha son manteau qui s'écrasa au sol au bout d'une dizaine de secondes – ce qu'elle ignora parfaitement - et se rendit dans les différentes pièces dans lesquelles pourraient se trouver sa grand-mère.
Soudainement, la jeune femme se stoppa net et tendit l'oreille. Elle descendit dans le bureau d'Omé au sous-sol et s'approcha de la porte sur la pointe des pieds. Elle jeta un coup d'œil à l'intérieur de la pièce et vit sa grand-mère décrire des cercles debout sur le tapis, les bras croisés en marmonnant, un air maussade sur le visage.
- Ça n'aurait pas dû se passer comme ça... c'est pas possible...
- Qu'est-ce qu'il se passe Omé ? s'enquit Valentine en passant sa tête dans l'entrebâillement de la porte.
- Oh Valentine... bégaya la vieille femme en s'arrêtant net, Euh... je... j'ai appris ce qu'il s'est passé durant la journée, une certaine Madame Roussie... ou peut-être Rossie m'a contacté, comment vas-tu ma chérie ?
Omé s'était précipitée vers sa petite-fille afin de l'ausculter sous toutes les coutures.
- Tout va bien mamie, plus de peur que de mal, tenta-t-elle de rassurer sa grand-mère en esquivant une grimace lorsque celle-ci la serra fort dans ses bras.
- Raconte moi tout ce qu'il s'est passé ma puce s'il te plaît, l'implora la femme aux cheveux gris en passant un doigt humide sur les tempes de Valentine afin d'enlever une trace de crasse.
La jeune peintre s'assit sur le large canapé de la pièce tandis qu'Omé partit au fond de la pièce.
- Je vais te faire une tasse de chocolat et tu peux prendre un muffin que j'ai fait cet après-midi ma chérie.
En attrapant une pâtisserie, Valentine se répéta mentalement ce qu'elle allait dire à Omé, le but n'était pas de l'inquiéter inutilement.
Manque de chance.
La réaction d'Omé ne se fit pourtant pas attendre, au fur et à mesure que Valentine racontait sa journée le visage de la vieille femme se décomposait. Elle posa fébrilement sa tasse de thé sur la table basse proche d'elles.
- Il a gratté les toiles tu dis ? Il cherchait quelque chose ? Il s'est passé quelque chose de bizarre ou rien du tout ? l'interrogeait-elle sans relâche, les mâchoires serrées en tenant sa petite fille par les épaules. Il t'a dit quelque chose ? Tu connaissais son visage ?
Valentine hocha un sourcil l'air perplexe, elle avait rarement vu sa grand-mère dans un tel état. Cela faisait quelques instants maintenant qu'elle subissait cet acharnement et elle était très inquiète par le comportement sans précédent qu'elle avait en face d'elle. Elle posa elle aussi sa tasse sur le meuble, en prévision d'un mouvement imprévue.
- Je... non... enfin oui il...
- Il s'est passé quelque chose ou pas Valentine ? Réponds-moi bon sang ! s'emporta Omé en se levant brusquement, elle se remit à faire les cent pas dans la pièce.
- Non je n'ai pas vu son visage Omé et non il ne s'est rien passé de bizarre, c'est vraiment tout ce qui t'inquiète ? Si je le connaissais je te l'aurais déjà dit, d'ailleurs je me demande pourquoi quelqu'un que je connais m'aurait agressé de cette manière ? protesta Valentine en se levant du canapé pour se tenir face à la vieille femme.
Cette dernière n'arrêta pas sa ronde pour autant, elle resta plongé dans ses réflexions.
- Tu es sur qu'il ne t'a rien dit du tout ? s'enquit-elle, les yeux vissés vers le sol.
Valentine croisa les bras sur sa poitrine, elle prit le parti d'arrêter de répondre à l'interrogatoire qu'on lui faisait mener. Elle décida d'attendre le calme pour continuer de raconter son histoire.

Omé prit un temps pour se calmer. Elle ouvrit la fenêtre et se posta devant, elle prit une profonde inspiration et ferma les yeux pour laisser les derniers rayons du soleil caresser son visage. Attendrie, Valentine s'approcha d'elle en prenant appui sur le bureau. Sa grand-mère avait toujours tendance à se rattacher à la nature et à l'énergie du soleil lorsqu'elle ressentait de fortes émotions, cela avait tendance à la rassurer. C'était une sensation qu'Omé avait transmise à sa petite-fille qui comprenait parfaitement son besoin de tranquillité.
La jeune femme balaya du regard le meuble encombré sur lequel elle se tenait. De nombreux dessins jonchaient la surface du mobilier mais elle s'attarda sur des symboles inscrits sur une petite feuille. Elle lut avec aisance la phrase : « Le chemin crée est toujours la bonne voie ». L'origine de l'écriture runique ne lui revenait pas en mémoire, mais elle avait déjà dû la voir quelque part pour être capable de la traduire rapidement.
- Vas-y Valentine finit de me raconter ce qu'il s'est passé, lui intima Omé en brisant le silence.
La jeune femme interrompit brusquement son cheminement de pensée et laissa le mot dans un coin de son esprit.
Elle s'assit et reprit son histoire là où elle l'avait arrêté, mais pour la première fois, elle ne passa pas à côté des mots violents qu'on lui avait asséné dans le bus. Cela faisait des mois qu'elle minimisait ce qu'elle vivait au lycée et elle ne pouvais plus le cacher à sa grand-mère, maintenant que la sortie qui lui tenait tant à cœur était terminée, elle osait enfin vider son sac.
- Donc voilà, je n'avais jamais osé t'en parler jusque là mais aujourd'hui a encore été une journée compliquée, termina Valentine, le cœur battant à toute vitesse dans sa poitrine.
Elle avait tellement frotté ses yeux pour être sûr qu'aucune larme ne lui échapperait qu'ils étaient irrités.
Omé n'émit pas une parole. Elle se contenta de s'assoir à côté de la jeune femme et de la prendre dans ses bras.
- Mais dis-moi ma puce, qu'ont-ils à te reprocher ? Je ne comprends pas ? demanda doucement la vieille femme les sourcils froncés. Pourquoi est-ce qu'ils te traitent de sorcière ?
Valentine poussa un long soupire et haussa les sourcils, elle s'arrachait les cuticules des ongles pour tenter de faire disparaître sa nervosité. Elle raconta alors le comportement de James, la sensation de rage intense que cela lui avait provoqué et la conséquence finale. Comme annonçant un diagnostic grave, Valentine baissa les yeux et, d'une voix tremblante, affirma lui avoir cassé le nez. Les mains moites et la respiration saccadée, elle attendait une réaction d'Omé, mais elle ne reçu en échange de son aveu qu'un long silence pesant. Valentine avait tout de même gardé pour elle les détails un peu mystique comme la phrase qu'elle avait prononcé au moment de l'acte, elle n'avait aucune envie d'être prise pour une personne possédée par un démon quelconque.
Contre toute attente, Omé se tourna vers sa petite fille et un sourire aux coins des lèvres.
- Dis moi ma puce, tu en es où avec la peinture que tu avais commencé l'autre jour ?
- Pardon ?
Les yeux de Valentine s'écarquillèrent, abasourdie.
Ce fut la goute d'eau de trop à ses yeux. Elle fronça les sourcils face au visage impassible de sa grand-mère.
- Je te raconte le harcèlement que je vis depuis le début de l'année scolaire, je te parle d'un homme qui m'a agressé, je m'ouvre à toi parce que j'ai l'impression d'avoir cassé le nez de James à distance et c'est tout ce que tu trouves à répondre ? s'énerva-t-elle, les poings fermés lassant ses ongles entaillés sa peau.
Son cœur battait à rompre et le rouge lui monta aux joues. A cet instant précis, elle n'avait que faire de la douleur qui enflait dans ses côtes. Elle n'avait jamais parlé de ce qu'elle vivait au quotidien pour ne pas inquiéter sa grand-mère, mais au vu de la réaction de cette dernière elle n'aurait même pas de lui raconter.
- Tu me parles sur un autre ton Valentine Baïly, tu me dois le respect, dit Omé d'un ton ferme, ne se souciant pas de l'emportement de celle-ci.
- Moi je te dois le respect ? Alors que c'est en grande partie de ta faute si je me fais humilier au lycée ? Jamais tu n'as voulu me parler de mes parents, de mes origines, je ne connais rien de ta vie, ni de la mienne ? s'emporta franchement la jeune brune.
- Quel est le rapport avec les moqueries du lycée ? répliqua Omé en soupirant d'exaspération.
- Le rapport c'est le fait qu'on me traite comme une pestiféré, les autres passent leur temps à me demander où sont mes parents, je ne viens de nul part, je ne fais pas de repas de famille comme partout ailleurs ! Non, moi, je casse le nez des autres ! s'écria Valentine en serrant les dents.
L'expression d'Omé changea soudainement et une immense lassitude s'inscrit sur son visage, sa petite fille vit une grande tristesse passer dans son regard ce qui la calma aussitôt. La vieille femme se posa sur le canapé.
- En fait Omé tu ne comprends pas à quel point c'est dur de vivre sans n'avoir aucune idée de qui sont mes parents, tu m'as toujours dit qu'ils étaient décédés, oui mais dans quelles circonstances ? Et toi ? Tu as eu un mari ? J'ai bien eu un grand-père, non ? l'implora-t-elle en s'asseyant à côté d'elle.

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