Chapitre 5e: Premier contact

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En direction de la sortie de la cité, l'émulation du centre commence peu à peu à s'affaiblir. Les foules pressées laissent place à des coins sombres où la lumière peine à trouver son chemin, les grandes avenues seulement éclairées par quelques braseros portés par d'immenses statues représentant certains des plus célèbres premiers enfants des Fondateurs, les Haut-Nains. Les grandes portes de Kharaz'Modan s'approchant, les forces de l'autorité se multiplient à chaque statue. Plusieurs gardes en formation à la patience et la discipline infaillibles veillent sur l'entrée de notre foyer.

Je progresse sur le Pont des Origines au-dessus de Megrarka, la grande rivière qui parcourt les profondeurs de la cité, le chant des cascades joué par son courant sur les parois rocheuses accompagnant le bruit lourd de mes pas solitaires. Rares sont les nains qui empruntent cette route, et qui ont le loisir d'être témoin du spectacle que propose l'édifice surplombant le ravin abyssal. Je sens le regard des gardes lourd de jugement sur moi, jusqu'à ce que je me trouve devant les deux portes massives et gargantuesques de la cité, sculptées des visages merveilleusement fidèles de Notre Père et Notre Mère, dont les bordures évoquent les tresses caractéristiques de toute notre architecture dans un niveau de détail exquis.

Un des gardes, vraisemblablement mieux équipé et au commandement des troupes en présence me barre le chemin. Je n'ai jamais entendu parler de cette garnison. Je n'ai pas eu l'honneur au cours de mon apprentissage dans la garde de découvrir qui sont ces porteurs d'armures cérémonielles d'élite qui gardent le seul accès depuis l'extérieur à notre grandiose cité. Sa démarche trahit une rigueur militaire sans faille, forçant le respect et l'humilité. Je le salue humblement alors que sa voix commence à résonner dans son casque.

Garde: Bonjour, jeune homme. Tu te trouves devant les grandes portes de Kharaz'Modan, le sanctuaire de Gromrik et Anmerua, et le foyer de notre peuple. J'imagine que tu n'es pas sans savoir que seuls quelques-uns d'entre nous ont les autorisations pour pénétrer les Tréfonds.

J'étais très impatient, cela m'a presque paru une éternité avant que l'un d'entre eux ne vienne s'interposer. Je remonte fièrement ma manche, afin de dévoiler le tatouage de la Ligue des Explorateurs, sans pouvoir m'empêcher de fanfaronner un peu.

Belingor: Eh bien, comme vous pouvez le voir, je fais depuis peu partie de ces quelques-uns qui disposent des accréditations nécessaires pour passer de l'autre côté.

Il m'attrape assez franchement le bras, avant d'inspecter de plus près le tatouage avec un monocle. Il fait un signe à ses collègues, qui partent en direction de la porte, avant de me mettre en garde.

Garde: N'oubliez jamais que c'est ce que vous laissez derrière vous, le cadeau du Grand Dragon. De l'autre côté de ces portes, il n'y a rien que des grottes désertées par la civilisation et des dangers insondables. Soyez prudent jeune homme, c'est la première fois que je vous vois, la Ligue n'est pas considérée comme un repaire de fous pour rien.

Belingor: J'y compte bien. Bonne journée.

Après quelques instants, ceux qui étaient partis en direction de la porte ouvrent une petite poterne de deux nains de hauteur, m'invitant à l'emprunter. Ils me saluent d'un geste de la tête, refermant derrière moi la porte, le son lourd de la clenche se verrouillant résonnant dans toute la galerie naturelle s'ouvrant à moi dans des ténèbres absolues. Je sors ma lanterne, et retourne ma clepsydre, une sorte de petit sablier d'eau de six heures qui me permet de conserver une trace du temps, et emprunte le sentier de droite qui monte vers l'entrée d'un plus petit tunnel serpentant entre les formations caverneuses à la recherche de la rivière souterraine de Fornâz, qui selon les indications de Balimdur, devrait se trouver non loin de l'entrée de Kharaz'Modan.

Nul ne connaît la véritable définition de la solitude avant de s'être retrouvé seul dans une galerie souterraine naturelle. Bien que nous ne soyons un peuple des profondeurs, cela nous demande même à nous une grande résilience psychologique pour ne pas céder à la terreur des ténèbres et à la paranoïa. Ne laisser ne serait-ce qu'un soupçon de crainte ou de doute nous atteindre ouvre la porte aux hallucinations, et nombre des premiers nains partis à la découverte des galeries offertes par le Grand Dragon ont succombé aux démons de la folie de cette façon sans jamais n'être retrouvés. Les passages étroits opposent et oppressent les sens, ne facilitant pas l'enjeu primordial du contrôle de la respiration. L'oxygène est précieux, tant pour le corps que l'esprit, et je dois réduire mes efforts au moins jusqu'à retrouver une autre salle naturelle où des végétaux auront peut-être eu l'opportunité de pousser et de générer plus d'air. Je continue de progresser lentement mais sûrement, à l'écoute de la mélodie des profondeurs, guettant par delà l'eau ruisselant le long des parois humides le son de la rivière et de ses rapides. Dans l'adrénaline de l'exploration, mon esprit ne trouve pas le temps de réaliser le danger de la situation. Je suis seul par delà les murs de notre cité et les bras des Fondateurs: Si quelque chose doit m'arriver ici, je ne pourrai compter sur nul autre que moi-même.

Et puis, enfin, j'entends une cascade. Le soulagement me pousse à l'erreur et j'accélère le rythme. Quelques minutes plus tard, je commence à payer le prix de mon impatience et commence à avoir la tête qui tourne. Arrivé à côté du lit de la rivière, je suis contraint de prendre une pause. Heureusement, je me trouve dans une cavité érodée par le temps et l'eau, un peu plus spacieuse où l'air circule un peu mieux et où la lumière de ma lanterne repousse un peu plus les ténèbres.

Le temps est donc venu d'appliquer les conseils de mon mentor. "La faim obscurcit le jugement. Elle pousse à l'impatience, à la colère, et au préjugé. Nul ne peut réfléchir objectivement sans quelque chose dans le ventre". Je sors donc un petit encas et profite du moment pour savourer ma renaissance hors des murs de mon enfance. Deux heures semblent être passées d'après mon clepsydre. Je dois me remettre en route si je veux pouvoir rentrer avant la fin du cycle.

Je suis la Fornâz, et croise tout au long une série de marques réalisées à même la roche. Sans doute les Explorateurs marquant leur chemin; je dois être sur la bonne route.

C'est alors que quelque chose surgit des ombres, me saute dessus et me plaque au sol. Sans doute ne l'ai-je pas entendu en raison du fracas des rapides que je longe. Une partie de mon équipement finit à l'eau, et lorsque je me retourne, je suis nez à nez avec une créature étrange, à l'image d'une taupe de ma taille sans yeux avec en guise de membres supérieurs deux longues griffes acérées de la taille de mes avants-bras. Elle aussi, se relève, un peu sonnée. Témoin de ses armes naturelles, j'observe rapidement mon corps à la recherche de blessures. L'adrénaline m'empêche de ressentir clairement la douleur de l'écorchure que m'a infligée ce que je reconnais maintenant être un Rokkar. Je saisis ma hache et mon écu, et prends mes positions. La créature semble plus prudente désormais, comme si son attaque avait eu moins d'impact que ce qu'elle espérait. Elle grogne, semblerait-il plus par peur que prédation, mais ne bouge pas d'un pouce. Elle se sent... Menacée. Sans doute n'avait-elle pas remarquée mon équipement, et pensait que je n'étais qu'un voyageur sans défense.

Au terme d'un duel de regard, je finis par prendre les devants, et m'élancer dans une charge. Le Rokkar tente d'esquiver mon coup de hache. Peu m'importe, car il s'agissait d'une feinte. C'est mon coup de bouclier, la véritable attaque. Dans un claquement rauque et métallique caractéristique, je parviens à propulser le Rokkar dans la rivière, impuissant face à la force indomptable du courant. Je reste sur mes gardes, conscient de la facilité déconcertante avec laquelle je suis venu à bout de mon assaillant, et des éventuelles autres menaces que le vacarme aurait pu attirer. Au terme de minutes qui me semblent être des heures tant je suis sur le qui vive, rien d'autre ne semble surgir ou me surveiller depuis les ténèbres. Toujours mes armes à portée de main et très attentif à mon environnement, je commence à rassembler mon matériel au sol et fais l'inventaire de ce que j'ai perdu dans la confrontation. Mes rations de nourriture sont vraisemblablement tombées à l'eau, avec mon nécessaire de cuisine. Dut Elredd être à mes côtés, son cri de désespoir ferait trembler les Tréfonds tout entiers et me rendrait complètement fou. 

Un moindre mal, compte tenu de la proximité théorique de mon objectif. Je reprends ma concentration et mon économie d'efforts à l'affût des injonctions du Quartier-Maître et les sanglots des recrues à travers les galeries...

Chroniques de Nyrheim: Belingor FairbeardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant