Chapitre 1

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Il était déjà huit heures du matin, j'allais être en retard et je ne savais toujours pas en quoi me déguiser. J'avais longtemps hésité entre un vieux masque d'halloween trouvé au fond d'un placard et un mauvais costume de super-héros. Se déguiser pour sortir en soirée est une chose, se déguiser pour aller à un enterrement en est une autre. 

 Je déteste me déguiser, je déteste me faire remarquer ; et je déteste les soirées costumées qui m'obligent à me déguiser au risque de me faire remarquer. Zoé, elle, aimait beaucoup les soirées costumées. Elle aimait beaucoup sortir en général et me forçait toujours -moi qui suis d'une nature plutôt casanière- à l'accompagner. En vérité, elle n'avait pas besoin d'argumenter longtemps puisqu'"Elle" était le meilleur argument. 

 Dépité et un masque de Spiderman bon marché dans la main, je me souvins alors d'un anniversaire costumé organisé par l'une de nos amis. C'était un vendredi soir, j'étais fatigué de ma semaine de cours et n'étais pas motivé à sortir. Zoé m'avait appelé pour savoir si je venais :

"Je sais pas trop... Je suis vraiment fatigué ce soir...

- C'est trop nul ! Franchement, t'es pas drôle ! T'as tout le temps la flemme ! Eh oh on aura pas vingt ans toute notre...

- J'en ai vingt-deux, la coupais-je en sachant que cela l'embêterait.

- Scuse' nous papi. Tu veux que je te ramène tes charentaises et ta camomille ?

- Ahahah, peut-être bien que oui...

- Pfff t'es naze... De toute façon si tu viens pas je viens pas !

- Oh mais tu me fais du chantage ! Lui répondis-je.

- Non, mais si tu ne viens pas ça ne sera pas drôle...

- N'importe quoi, on sait très bien que tu pourrais passer une soirée avec un lampadaire et t'amuser quand-même.

- Déguise-toi en lampadaire alors !"

Je me résignai finalement à venir et me déguisai en papi, avec des charentaises aux pieds, pour la faire rigoler. Quand elle me vit arriver elle eut un véritable fou rire. J'aimais son rire plus que tout. Il n'était pas délicat et cristallin ; non, c'était un rire gras et bruyant. Un rire qui sortait des entrailles et qui obligeait souvent les gens à se retourner vers nous lorsque nous étions ensemble. Et moi -qui suis d'une nature discrète, je vous le rappelle- j'étais heureux. Son rire était honnête, franc, généreux. Je compris alors que mon plus grand bonheur dans la vie était de la faire rire et de rire avec elle.

 Zoé était déguisée en chat, enfin en chatte. Elle portait un serre-tête avec des oreilles noires et avait lâché ses cheveux roux bouclés. Elle semblait les avoir peignés, pour une fois. Ses yeux étaient marrons ; certains pourraient dire qu'ils étaient banals, ceux-là feraient mieux d'être muets plutôt qu'aveugles. Moi, je les trouvais pétillants et lumineux. Elle avait dessiné par-dessus ses taches de rousseur quelques moustaches et avait colorié en noir la pointe de son nez. Je la trouvais belle déguisée ainsi. Mais, soyons honnêtes, elle aurait pu se déguiser avec le costume le plus ridicule et moche du monde, je l'aurais tout de même trouvé esuperbe. 

 C'est en me rappelant cette soirée que je repensai au serre-tête que j'avais dans un tiroir. Elle l'avait fait tomber durant la soirée, je l'avais ramassé et ramené chez moi. J'ouvris la commode dans laquelle il était rangé, je retrouvai le serre-tête et le mis. Lorsque je me regardai dans le miroir, alors un poids immense m'écrasa le cœur. Je sentais mes boyaux se tordre, et couru jusqu'aux toilettes pour vomir. Là, je gerbai tout : mon petit-déjeuner, mes tripes, mon chagrin. J'aurais voulu le vomir tout entier et qu'il s'en aille mais non, lorsque je relevai la tête, il était toujours là. Je séchais les quelques larmes qui coulaient sur ma joue en pensant qu'elle n'aurait pas aimé que je pleure ; du moins elle n'aurait pas aimé me faire pleurer. 

Une fois mes larmes séchées, je partis à son enterrement, déguisé en chat.





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