Lorsque j'arrivai dans la salle de recueillement, je compris mieux les regards des agents de crémation : la salle était entièrement décorée à la manière d' une fête d'anniversaire. Des ballons de baudruches noirs et roses étaient accrochés au murs, des guirlandes en papier étaient suspendues au plafond et tombaient en cascade sur les bancs décorés de nœuds de papillon noirs eux-aussi. On devait vraiment nous prendre pour une bande de fous.
« Parfait ! » clama Benjamin derrière moi lorsqu'il vit la décoration de la salle. Il avait un grand sourire sur les lèvres, je trouvai ça bizarre et inapproprié.A vrai dire, je connaissais peu le compagnon de Zoé. Mes propres sentiments m'avaient découragé à lui poser des questions et, de son côté, elle ne m'avait parlé que très peu de lui. En tout cas, elle m'avait toujours paru amoureuse et j'avais remarqué une photo d'eux en fond d'écran de son téléphone. Sur la photo, ils se prenaient tous les deux dans les bras. Je crois qu'elle avait été prise lors d'un voyage ou quelque chose dans ce genre : Zoé portait des lunettes de soleil et lui un chapeau de paille ridicule. Ils avaient l'air de se correspondre.
Nous nous assîmes sur les bancs. Sa famille se plaça au premier rang tandis que Célia , Julie et moi nous plaçâmes au second. J'étais assis juste derrière Benjamin et Lucie qui se retourna brièvement pour me sourire.
Le cercueil était au centre de la pièce. Une couronne de fleurs était posée dessus.
J'avais du mal à imaginer qu'elle puisse être à l'intérieur. Je fus pris par l'impulsion d'ouvrir ce putain de cercueil et de la libérer. Je me vis hurler au milieu de tout le monde : « Elle est vivante ! Elle vit encore, ouvrez ce cercueil ! » Je m'imaginais sauter dessus et essayer de l'ouvrir par tous les moyens possibles. Je voulus arracher le couvercle et je grattai si fort avec mes ongles que mes doigts en saignèrent. Du sang, partout.Puis je revins à moi. Je fermai les yeux, basculai la tête en arrière et respirai doucement: j'inspirais avec le nez et expirais par la bouche. J'évitai ainsi une crise d'angoisse. J'en faisais de plus en plus fréquemment depuis l'annonce de sa mort.
Benjamin avait sûrement vu que je n'allais pas bien puisqu'il se retourna vers moi et me chuchota : « Eh vieux, respire ca va aller. C'est foutrement dur hein, mais pense à elle, pense à ce qu'elle aurait voulu. Elle aurait aimé qu'on lui rende hommage à sa manière à elle. »
J'en avais rien à foutre qu'elle ait pu aimer ce type, il commençait à sérieusement me les briser en m'imposer sa vision du deuil. J'était torturé par la chagrin. Le visage de Zoé hantait chaque parcelle de mon esprit, j'étouffais d'Elle. Je la voyais partout où je regardais, j'entendais sa voix lorsque la brise se levait, je sentais son parfum partout où je respirais.« Pourquoi ? ! » était la question qui monopolisait ma pensée en continu. Pourquoi n'était-elle plus là ? Pourquoi s'était-elle tuée ? Pourquoi m'avoir privé d'Elle ? Ces questions tournaient en boucle dans ma tête, elles cognaient contre les parois de mon crâne, cherchaient à sortir, à trouver une solution, mais rien, aucun réponse. Parfois c'est comme si l'on me tapait à l'intérieur de la tête avec une massue. J'en avais la migraine de ce putain de chagrin qui s'était abattu sur moi comme une avalanche de vase noire et visqueuse. La seule qui aurait pu m'aider ce fut elle ; elle, la cause mon malheur.
Puis sa mère se leva et se dirigea vers le pupitre. Sur son chemin, elle s'arrêta quelques secondes près du cercueil, posa sa main dessus et continua de marcher vers le pupitre.
Lentement, elle se plaça derrière le micro. Zoé lui ressemblait tellement : sa mère avait exactement la même chevelure rousse et bouclée. Son portrait craché trente ans plus tard. Mais je ne saurai jamais à quoi aurait ressemblé Zoé avec trente ans de plus.
Sa mère essuya quelques larmes qui avaient coulé le long de ses joues et elle commença son discours :
« Aucune jeune fille n'a mieux porté ce prénom que ma Zoé. Elle a toujours été pleine de vie dès sa plus tendre enfance : c'était un bébé très souriant. Les gens s'arrêtaient dans la rue pour nous dire à quel point elle était mignonne. Zoé n'a jamais laissé quiconque indifférent. Bébé, son rire était tellement communicatif qu'elle parvenait à décrocher un sourire même aux plus grincheux, même à tantine !» A ce moment-là quelques personnes rigolèrent dans la salle. Je ne savais pas qui était tantine mais je connaissais le sourire et le rire de Zoé par cœur. Elle avait ce pouvoir magique - comme une fée- d'adoucir tous les cœurs. Lorsqu'elle riait, vos soucis s'estompaient.
Sa mère continua : « Ma chérie, si tu savais comme je m'en veux...de n'avoir rien vu. Si tu savais comme je m'en veux.... Si tu savais... Quelle tristesse cachait ton sourire ? !
Normalement une maman voit tout...sait tout...et moi je n'ai rien vu, je suis passée à côté du plus important... Le bonheur de ma fille ! Je suis passée à côté de toi... Trop préoccupée... préoccupée par des problèmes sans intérêts... des choses superficielles.. et je suis passée à côté de toi. Je t'aime tellement si tu savais...Tu as toujours été mon petit rayon de soleil, et tu continueras à l'être pour toujours. Tu rayonneras toujours sur nous tous. Je t'aime, ma fille. » Là, elle se mit à pleurer et Lucie s'avança vers elle pour la prendre dans ses bras. Elles allèrent se rassoir en pleurant toutes les deux.Mon regard croisa alors celui de Benjamin. Il paraissait particulièrement nerveux, je mis cela sur le compte du chagrin.
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Un Enterrement
Mystery / Thriller[TW suicide] Un enterrement déguisé, des chansons de soirées et des rires, c'est ce que Zoé - une jeune fille qui a toujours semblé enthousiaste et rayonnante - a demandé pour son enterrement dans la lettre qu'elle a laissée lors de son suicide. A...