Blizzard

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Jungkook ne se retourna même pas quand la bande d'amis passa derrière lui pour quitter bruyamment le café.

A leurs parfums - il était très sensible aux odeurs- il aurait pu dire exactement qui était sorti et dans quel ordre. C'était des parfums qui trahissaient l'opulence dans laquelle ces hommes vivaient malgré ces aspects humbles qu'ils voulaient parfois se donner. Ils sentaient le cuir, les cosmétiques et les vêtements onéreux.

Jungkook ne se retourna pas non plus au sympathique : « À bientôt, Kook !» tant il était accablé par son impulsivité.

Il avait hâte de fermer la boutique. Il serait bientôt une heure. Il pourrait regagner son appartement désormais vide. Ce n'est pas qu'il était si heureux de rentrer chez lui, mais il avait hâte de se retrouver seul.

Dans son deux pièces d'Itaewon, flottaient encore des effluves de vétiver et de fleurs. Quelques effets oubliés traînaient dans sa commode ou sous son oreiller.

Jimin était parti comme il était venu, en semant la pagaille !

Jungkook était romantique jusqu'au bout des doigts, alors que Jimin ne jurait que par la passion. Jimin hésitait, explorait ses doutes et ses envies, tandis que Jungkook naviguait sur un océan de certitudes. Jimin répandait la joie et l'affection autour de lui, cependant que Jungkook gardait tout farouchement pour lui.

Frustré et profondément blessé par le peu de démonstration de tendresse et d'affection, paniqué par l'avenir tout tracé que leur prédisait Jungkook, rongé par ses indécisions, Jimin avait fui laissant Jungkook dévasté.

Jungkook essuya ses mains sur son tablier et fixa un instant la marque blanche sur son annulaire désormais nu. Il soupira à deux doigts de pleurer quand, soudain, un tout petit flocon glissa le long de la vitrine, puis deux, puis, très vite, des centaines.

Rapidement, la neige se mit à tomber abondamment.

- C'est beau ! se dit-il à voix haute.

- J'adore la neige, répondit une voix chaude.

Jungkook sursauta et se retourna surpris. Comment avait-il pu être distrait au point de ne pas s'apercevoir que tous n'étaient pas partis ?

L'acteur semblait vouloir ajouter quelque chose mais Jungkook ne lui en laissa pas le temps.

- Je dois fermer, fit-il sèchement en tournant de nouveau le dos pour passer un dernier coup de chiffon sur les étagères et la paillasse.

Il entendit des mocassins aux semelles cloutées résonner derrière lui. Il sentit Rimbaud de chez Céline l'envelopper d'un nuage poudré d'iris, de musc et de lavande. La clochette tintinnabula, et la porte claqua sur un « bonne nuit » un peu trop grave. Enfin, il vit une silhouette traverser la rue, légèrement courbée sous le froid et le vent, s'arrêter sur le trottoir en face et s'allumer une cigarette.

Jungkook refusa de s'appesantir plus longtemps sur ce que faisait la super star. Il passa un rapide coup de serpillère avant d'éteindre toutes les lumières et de reprendre sa veste de cuir dans le vestiaire de l'arrière-boutique.

Il s'observa brièvement dans le miroir. Depuis le départ de Jimin, s'il s'était oublié en allant à la salle de gym tous les matins dès l'aube, il avait complètement négligé son apparence ! Ses cheveux auraient besoin d'être coupés ; ils ne supportaient plus d'être attachés en permanence, étaient fourchus et bien trop longs sur le front. Ses cernes trahissaient ses nuits courtes et agitées. Sa peau semblait crier « au secours ! » et il avait même de nouveau quelques petits boutons. "La poisse !"

Lorsqu'il verrouilla la porte du café, la neige tombait dru et le vent s'était fait plus puissant et mordant. Plus aucun véhicule ne circulait. Les voitures garées le long du trottoir étaient déjà ensevelies ; leurs propriétaires auraient bien du mal à les dégager et devraient certainement trouver une autre solution pour se déplacer le lendemain.

Il se dit qu'il avait bien de la chance de vivre à deux blocs d'immeubles de là. Il dansait d'un pied sur l'autre de froid, le nez en l'air, se demandant comment la neige se formait, combien de temps elle tiendrait, de quoi aurait l'air la ville dans quelques heures, à la lumière du jour.

- Tu vas finir en congère si tu restes planté là, fit une voix de baryton sortie de nulle part.

Jungkook sursauta. Il se retourna brusquement pour se retrouver quasi nez à nez avec l'acteur.

- Qu'est-ce que tu fous là ! répondit-il mal aimable. Et toi ? T'es dehors depuis une demi-heure. Tu m'espionnais ou bien ?

- Hummm... en quelque sorte, répondit sans ciller Taehyung, une nouvelle cigarette entre les lèvres.

Il respirait l'assurance. Même son talon qui écrasait le mégot avait du charisme pensait malgré lui Jungkook.

- T'es un malade ! Reste pas là. T'as pas une baraque à huit milliards et un majordome de mes deux qui t'attendent ?

Jungkook lui tourna ostensiblement le dos et avança d'un pas décidé vers la grande avenue désertée.

- Je ne peux plus. Il n'y a plus de taxi...

Exaspéré, Jungkook eut envie de faire mine de ne pas avoir entendu. Mais il avait un défaut qui lui bouffait la vie : il débordait d'empathie.

- Y a un hôtel, trois rues plus loin, dit-il en tendant la main en direction de l'hôtel.

- Je n'aime pas les hôtels et je n'ai pas mon portefeuille.

- T'aimes pas... gmpffff... mais pourquoi tu t'balades sans argent ?

- Mes hyungs paient toujours pour moi.

- Pourquoi ça m'étonne pas que tu sois, en plus, un parasite ? Démerde-toi. T'as un téléphone. Appelle tes hyungs !

- Je ne peux pas.

Jungkook perdit définitivement son sang froid et avala les quelques mètres de trottoir qui le séparaient de l'acteur.

- Tu vas m'dire que t'as pas de téléphone non plus ?

- Ils m'ont dit de m'excuser avant de me planter ici... murmura Taehyung, les yeux rivés sur la pointe de ses mocassins italiens.

- T'excuser ? Auprès de moi ?

Jungkook exulta un bref instant. Son comportement insupportable n'était pas si apprécié que cela, même par ses propres amis. Finalement, il se dit qu'il les aimait bien, les autres.

- Ne m'oblige pas à répéter. C'est déjà bien assez embarrassant !

- Et donc, tu vas rester planté là, sous la neige. T'attends quoi ? De faire les gros titres demain matin ? "Le sublime Kim Taehyung a été retrouvé mort de froid, cette nuit, dans le quartier d'Itaewon, recroquevillé au pied de la vitrine du fameux café "Du côté de chez Swann.""

Taehyung pouffa. Il trouva le jeune homme amusant sous ses dehors revêches.

- J'aime bien La Petite fille aux allumettes... répondit rêveusement Taehyung sans aucune ironie.

Jungkook le dévisagea, se demandant un court instant s'il était totalement con ou absolument génial.

- Arghhhhhhhhhhh ! Tu m'énerves ! s'exclama Jungkook tout en empoignant l'acteur. Il le traina à sa suite d'un pas très rapide sous la neige qui leur cinglait le visage.

- Où va-t-on ? parvint à demander Taehyung essoufflé, trottinant adorablement au bout de son bras.

- A ton avis ! Chez moi. Je me gèle le cul et j'ai aucune envie d'être mêlé à ta mort de près ou de loin.

Weirdo [Taekook]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant