Féheries

Prologue

𝑈𝑛𝑒 𝑓𝑖𝑙𝑙𝑒 𝑠𝑒𝑚𝑏𝑙𝑎𝑏𝑙𝑒 𝑎̀ 𝑙𝑎 𝑛𝑒𝑖𝑔𝑒, 𝑛𝑒́𝑒 𝑢𝑛𝑒 𝑛𝑢𝑖𝑡 𝑔𝑙𝑎𝑐𝑖𝑎𝑙𝑒 𝑑𝑒 𝑑𝑒́𝑐𝑒𝑚𝑏𝑟𝑒, 𝑟𝑜𝑛𝑔𝑒𝑟𝑎 𝑙𝑒 𝑟𝑜𝑦𝑎𝑢𝑚𝑒 𝑒𝑛 𝑜𝑓𝑓𝑟𝑎𝑛𝑡 𝑠𝑜𝑛 𝑠𝑎𝑛𝑔 𝑎𝑢 𝑟𝑜𝑖. 𝑆𝑒𝑢𝑙 𝑠𝑜𝑛 𝑐𝑜𝑒𝑢𝑟 𝑎𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛𝑛𝑒𝑟𝑎 𝑙𝑒 𝑐𝑟𝑒́𝑝𝑢𝑠𝑐𝑢𝑙𝑒, 𝑠𝑒𝑢𝑙 𝑠𝑜𝑛 𝑝𝑜𝑢𝑣𝑜𝑖𝑟 𝑎𝑏𝑎𝑖𝑠𝑠𝑒𝑟𝑎 𝑙'ℎ𝑖𝑠𝑡𝑜𝑖𝑟𝑒 𝑒𝑡 𝑠𝑒𝑢𝑙 𝑙𝑒 𝑟𝑜𝑖, 𝑎𝑛𝑒́𝑎𝑛𝑡𝑖𝑟𝑎 𝑙𝑒 𝑠𝑐𝑖𝑛𝑡𝑖𝑙𝑙𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑢 𝑐𝑖𝑒𝑙 𝑜𝑏𝑠𝑐𝑢𝑟. 𝑆𝑖 𝑙𝑒 𝑓𝑒𝑢 𝑣𝑒𝑢𝑡 𝑝𝑟𝑜𝑠𝑝𝑒́𝑟𝑒𝑟, 𝑖𝑙 𝑑𝑒𝑣𝑟𝑎 𝑙'𝑒́𝑔𝑜𝑟𝑔𝑒𝑟 𝑑𝑒 𝑠𝑒𝑠 𝑚𝑎𝑢𝑥.

C'est ce que l'oracle avait dit ce soir-là. Il y avait une prophétie tous les cinquante ans, toutes centralisées sur l'avenir de ce monde. Grâce à celles-ci, le roi Amris pouvait déjouer tous les plans menaçant son règne.
Et cette nuit-là encore.
C'est ce qu'il fit.

Cinquante-quatre.

C'est le nombre de bébés femelles qui ont été sacrifiés cette nuit-là, ainsi que des dizaines d'autres à chaque nuitée de décembre qui ont suivi. La lune Hélinquila avait eu lieu il y a neuf mois déjà et le nombre d'enfants à naître était gargantuesque.

Des nourrissons arrachés des bras de leurs mères avant même qu'elles ne puissent les embrasser. D'autres brûlés. Assassinés. Sans personne pour les pleurer. La magie les a fait oublier, à tous. Parents, amis, oncles, frères et sœurs, même le boulanger du coin finissait par oublier d'avoir un jour vu sa voisine sur le point d'enfanter. Seulement, le commanditaire de cette boucherie n'avait pas pris en compte le lien maternel. Celui-ci pouvait être plus fort que certains sortilèges, plus fort que la magie elle-même.

Et afin de l'éradiquer complètement, il envoyait des hommes tuer les mères qui avaient le malheur de se souvenir. Celles dont le traumatisme refaisait surface à la vue d'un jouet, d'une chaussette pour bébé ou d'un enfant un peu plus âgé. Pour les autres, seule la folie était en mesure de les accueillir, offrant la possibilité au roi de les enfermer à tout jamais, d'étouffer ce massacre pour l'éternité pour continuer de régner en paix.

Mais cette nuit-là, un garde présent au palais avait entendu l'oracle.
Cette nuit-là, il s'était envolé jusqu'à la prison de Féheries.

Là,se trouvait une femme à laquelle le tueur n'avait pas pensé. Il n'aurait jamais cru qu'elle pouvait enfanter. Le roi Amris ne s'en était pas préoccupé depuis des centaines d'années, pensant qu'elle baignait dans le désespoir et la solitude. Il en avait lui-même oublié sa présence. Elle n'était plus rien, qu'une femme condamnée à vivre avec sa solitude et le poids de son sang.

C'était le cas. Jusqu'à ce garde. Jusqu'à ce qu'ils échangent le plaisir de la chair créant ainsi, un bébé qui aurait fini anéanti à l'instant même où la grossesse aurait été connue.

Cette femme était emprisonnée depuis 1200 ans, elle était la Féhe la plus vieille de ce monde, la dernière de sa lignée et pourtant, elle était condamnée à vivre dans cette tour. Sortir lui était impossible et ses ailes, elles, avaient été sciées. S'en était suivi un emprisonnement humiliant et une existence emplie de ténèbres. Alors, cette nuit-là, quand elle vit l'homme qui lui avait offert le plus beau cadeau de sa longue vie. Elle sentit directement les abysses du mal en lui, cette femme, si puissante, sentait les émotions à l'instant même où son regard se posait sur quelqu'un.

Elle comprit, elle savait avant même qu'il n'ouvre la bouche qu'il était trop tard. Elle ne pourrait pas avoir cet enfant.
Le soldat lui expliqua tout de même la raison de sa venue, lui suppliant d'essayer de retarder l'accouchement. Elle savait que les jours étaient comptés avant de mettre son enfant au monde, mais en ce début décembre, tenir jusqu'à janvier pour lui donner la vie lui était impossible. Elle glissa une dernière fois son regard dans celui de l'homme, lui demandant son accord silencieux, puis elle ferma les yeux. Canalisant la dernière source de magie qui lui restait, elle se mit à accoucher par la seule force de son esprit, souffrant plus que quiconque et mettant au monde une fille avec des yeux d'un vert étincelant qu'on aurait pu confondre avec deux émeraudes tranchantes. Elle s'était autorisée à pleurer une fois, une seule en tenant son bébé contre elle, cœur contre cœur, âme contre âme. Puis, elle l'enveloppa délicatement dans une couverture et la confia à l'homme.