Chapitre II

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Samedi, 15 h 7. Dans le salon, en train de m'abrutir devant la télé.


« Jenn, tu l'as rangé où le papier pour l'imprimante ? hurle Laurena qui vient de franchir le seuil de l'entrée.

— Comme Harry : dans l'placard sous l'escalier. T'as quoi à imprimer encore ?

— C'est pour Marchal, je reviens de chez lui, là, lance-t-elle alors qu'elle rassemble sa tignasse noire au-dessus de sa tête. Il m'a envoyé par mail la moitié de son cours du dernier semestre en histoire de l'art. »

Pourquoi ne suis-je pas étonnée ? Question rhétorique.

« Un... deux... trois...quatre... Oh, mais my god ! C'est pas, genre la cinquième fois, qu'tu lui imprimes des affaires à cet orchidoclaste ? (Ça vaudra la peine d'aller checker la définition, car j'la donnerai pas.) Il a pas de quoi imprimer chez sa grand-mère ou quoi ?

— Tu penses bien que s'il en avait une, c'est probablement elle qui s'occuperait de ses impressions. Et ce n'est pas avec ce que Marchal travaille dans la vie et le peu que ses parents lui versent mensuellement qu'il est en moyen de s'en payer une, tu comprends ? commente-t-elle à ma réflexion alors que je l'entends soupirer depuis l'entrée du salon. »

Attends ! Le mec est capable de balancer 200 balles dans un casque Marshall pour frimer, car la marque sonne phonétiquement comme son blaze ; or il est pas foutu de s'acheter une imprimante Canon à 50 balles ? C'est bon, moi j'abandonne avec lui.

J'réponds R à Lau et lève les yeux au ciel à la manière d'une golmon. J'bouge pas de mon canapé sur lequel j'suis affalée comme une truie.

Perso, j'travaille pas non plus. Quant à mon argent de poche, ma mère est en train de me le limiter jusqu'à ce que j'me décide un jour à rendre visite aux parents plus régulièrement ; pourtant, j'ai quand même de quoi imprimer mon bordel.

« Allez, Jenna, essaie d'être compatissante, poursuit-elle avidement en daignant enfin se pointer dans le salon pour me contredire. Il a besoin de nous, tu sais qu'il n'a pas eu une vie facile, même ses parents ne l'ont pas emmené quand ils ont pris leur retraite pour un aller simple vers l'Australie. Peu de personnes l'ont soutenu et, dans le fond, je sais qu'il peut pleinement s'en sortir s'il fournit les efforts nécessaires. Mais il lui faut un léger coup de pouce pour y arriver. »

Ce qu'elle oublie de préciser, c'est que sa couleur de cheveux a bien joué en sa défaveur du temps où c'était encore amendable d'être né roux. Si y a pas de fumée sans feu et y a non plus pas de réputation sans précédent.

« J'suis entièrement pour l'entraide estudiantine, sauf s'il s'agit de Marchal : c'est pas valable pour lui. Il fait partie de la seule exception à la règle qu'il ne faut pas respecter, Laurena. »

J'tente de garder mon sérieux parce qu'essayer de comprendre comment fonctionne Marchal, c'est comme s'expérimenter à piger la Chanson de Roland : c'est interminable, c'est rude, c'est pénible et ça n'intéresse personne. Enfin si, moi, ça m'enflamme d'enthousiasme ! Mais j'suis hors des cases, considérez-moi comme une exception. Et au sujet de Marchal, notez qu'il y en a aucune en revanche.

« Ça fait quoi, bientôt trois ans que tu le connais ? me demande Laurena qui vient finalement s'assoir à côté de moi. Pourtant, tu ne m'as jamais précisé pourquoi tu le hais comme ça, s'interroge Lau. Je veux dire, je veux bien t'accorder qu'il est bobet et ignorant sur toutes les lignes possibles, mais au-delà de sa niaiserie et de son innocence, il est pourtant pas si méchant. »

Je me souviens qu'à l'origine, elle voulait juste savoir où se trouvait le papier, avant que ne débute cette assemblée dans notre salon pour discuter de l'autre emmanché.

J'peux pas, j'ai cours !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant