Jeudi, 17 h 23. Dans le canton de Neuchâtel, chez les parents pour diner.
Le trajet en train est long, à l'instar de cette soirée qui va probablement l'être tout autant. J'me fais tant chier que j'hésite à effectuer une propagande en taguant les parois intérieures du train : « Battez-vous pour le dernier bouquin en bibliothèque, pas pour le dernier shot en discothèque. Signé : une conscience. » Mais avant ça, si j'avais eu le stylo adéquat sur moi, j'aurais étalé mon talent d'artiste en dessinant tous types de phallus un peu partout et surement même sur le front du vieux fossile qui pique un somme en face.
J'suis pas rentrée à la casa depuis trois mois. J'avoue que mes parents commencent à me manquer un tantinet. En plus, j'ai la dalle ; je prie pour que ce soit ma mère qui se soit chargée de ça. On discutera de la raison plus tard.
J'arrive à la gare de Neuchâtel. Pressée, je m'évacue du train et emprunte la sous-voie menant aux arrêts de bus en direction d'Hauterive. Merde, j'ai oublié un détail substentiel. Juste avant d'aller à l'arrêt de bus — comme avant chacune de mes visites —, j'fais un arrêt éclair chez le fleuriste de la gare pour apporter une composition florale hors de prix à ma pauvre maman. Bien sûr dans l'espoir qu'elle me pardonnera une fois de plus de ne pas venir en visite plus régulièrement. En fait, pour être tout à fait objective avec vous, ma mère s'offre elle-même ces fleurs : ce fric est celui qu'elle me verse tous les mois en guise d'argent de poche (eh oui, celui qu'elle me restreint aussi par la même occasion). En résumé, j'me ruine pour qu'elle me renfloue, héhé. C'est un cercle infernal et vicieux qui n'a pas de fin !
Même pas le temps de me rouler une clope à l'arrêt de bus qu'un d'eux arrive déjà. Flemme de fumer en vrai. J'prends celui-ci.
C'est le moment de descendre à l'arrêt pour Longchamps, ces modestes quartiers de bourges. J'loupe la marche du bus et mange littéralement le gravier devant une dizaine de personnes témoins aux alentours. J'sens le jugement et les ricanements se porter sur moi. Rien de cassé, mais ma dignité, elle, a sacrément ramassé. L'idée de faire la morte me vient inéluctablement à l'esprit ; mais j'me rappelle que ces fleurs coutent plus que ma propre vie. Je me relève avec la fierté d'un coq. En revanche, j'ai juste l'air d'une conne : rien ne va dans ma maladresse.
J'me grouille d'arriver chez mes parents et sonne à la porte. J'patiente quelques secondes, puis me souviens que rien ne me retient de faire comme chez moi après tout. J'finis par entrer en toute détente.
« Hello ? »
Je les appelle trois fois à leur tour. Aucune réponse. Mon père ne peut être qu'à un seul endroit.
« Ah pap's ! Toujours dans la cuisine pour changer. T'entends pas quand je t'appelle ?
— J'voulais pas t'entendre, glousse mon Père qui douche le chou-fleur dans l'évier et en croisant tout juste mon regard ahuri. »
OK, papa taquin, on part donc sur une ambiance éclatante.
« Moi aussi je suis ravie de te voir...
— Allez ! Viens embrasser ton jeune et magnifique père, ma petite fille ! crie-t-il hardiment tandis qu'il s'empresse de coller son torse contre ma tête. »
Ça s'estime jeune et magnifique alors qu'il porte des sabots en bois depuis que la paternité a saccagé son charisme à ses 20 ans. Mais je t'aime, Papa.
Bon, passons sur les détails superflus.
« Elle est où mam's ?
— À l'extérieur, renchérit mon père qui stoppe gentiment son activité culinaire. On a une surprise pour toi ! s'enchante-t-il en m'entrainant vivement avec lui. »
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J'peux pas, j'ai cours !
HumorFut un temps, lorsque mon âge n'avait pas encore atteint la dizaine, je manifestais déjà un penchant prononcé pour la pêche aux canards. Puis les époques changent. Douze ans plus tard, j'ai évolué : à présent, j'excelle dans la pêche aux connards. J...