Chapitre III

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Mercredi, 14 h 16. À la fac, pendant un cours sur les allégories.

« Qui peut venir devant et nous expliquer la véritable définition de l'allégorie de la caverne de Platon ? nous interroge le bougre qui nous sert de prof, Laurent Droz-Gabasgan. »

Toujours fidèle à mon premier rang, et visible par absolument chaque personne présente dans cette salle, j'lève la main avec conviction : y a approximativement une petite trentaine de personnes dans cette salle. Obligé, il va m'choisir moi.

« Monsieur Roussel ? Parfait, venez donc devant prendre ma place et raconter à vos chers collègues étudiants ici présents, par une représentation graphique, ce que signifie cette allégorie. »

Nan, mais c'est une blague ! Y avait pas plus intelligent comme choix ? Je hais ce prof à mesure qu'il flingue mon enthousiasme à chacun de ses cours.

« Oui, m'sieur, j'le connais Platon ! Jenna m'en a touché deux mots.

— Impeccable, s'enchante-t-il alors qu'il s'avance jusqu'au second rang pour échanger sa place. »

J'imagine déjà Marchal en train de m'enterrer avec lui dans cette tombe d'incohérences qu'il va répandre devant tout l'auditoire.

« Bien, alors, c'est quand vous voudrez, monsieur Roussel, prenez le temps dont il vous faut, lui lance-t-il pendant que Marchal dispose ses feuilles volantes sur le bureau. »

Comme une sensation d'être au théâtre des Marionnettes, j'constate que tout le monde se décontracte et se réjouit d'assister à la représentation ; dans mon dos, des gloussements à peine audibles me mettent déjà mal à l'aise.

Pour ma propre conscience, j'fais demi-tour sur moi-même et m'adresse succinctement à la meuf la plus proche de mon siège — car j'cause jamais aux gars —, assise trois rangées plus haut.

« Hey, toi ! Psst, ouais, toi là ! T'es Sofia, c'est ça ? sifflè-je la fille qui se trouve devant moi. Flash info : j'ai rien à voir dans ce qui va suivre. Je voulais juste que ce soit clair, donc si tu peux faire passer le mot autour de toi, ça serait vraiment coopératif de ta part !

— Euh, flash info : on a partagé toutes nos classes de lycée ensemble au cas où tu l'aurais, entre guillemets, oublié. Mais je suis ravie de constater que conserver ton image est plus important que conserver tes amis, Jenna. »

Mon prénom dans sa bouche sonne comme l'écho d'un blasphème au nom de l'insolente égocentrique que j'suis. Rien de plus normal en fin de compte ; c'était déjà une habitude de snober pas mal de monde au lycée. Il me semblait bien que son visage me rappelait vaguement quelqu'un, mais bon, pour ma défense, j'ai jamais cherché à savoir qui aussi. Maintenant, ça me revient bien.

« Ah, oui, pardon. Excuse-moi, c'est vrai que je n'ai pas conservé de potes en sortant du lycée. Excepté Laurena qui a été la seule de vous tous à s'être inquiétée de mon absence, quand j'ai dû partir quelques semaines en thérapie contre mon gré. »

Essai de tir cadré de l'improbable Sofia. Son visage est plus tendu qu'un string.

« Normal, Laurena a toujours fait dans le social ! Ça ne m'étonne pas qu'elle n'ait jamais lâché personne, et ça peu importe ce que t'as pu vivre hein, me méprise-t-elle bien ouvertement. Alors, ne trouve pas d'excuse. »

Arrêt net et formel de Jenna l'insoumise.

« C'est vrai qu'au vu de tes résultats scolaires, t'étais autant loin et déchue que le Titanic au beau milieu de l'océan Atlantique. Alors quand j'y pense, c'est vrai que je préfère conserver mon amitié avec la connaissance plutôt qu'avec des cons de naissance, des gens qui savent apprécier les différences chez les autres et non reprocher leur condescendance. »

J'peux pas, j'ai cours !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant