J’appréhende de sortir de ma voiture et de faire face à tout ce monde à l’extérieur, prêt à me juger et à feindre une désolation pour mon célibat. Mais je ne peux pas ne pas y aller. C’est le mariage de Khary, ma nièce préférée. On peut dire que j’ai été présente depuis les débuts de sa relation avec Khadim, et je suis la première à qui elle l’a présenté. Je n’ai techniquement pas le choix, alors je prends une grande respiration avant d’ouvrir la portière pour descendre de la voiture.
Mon grand boubou en bazin fait de grands froufrous à chaque mouvement, et j’essaie d’avancer la tête haute malgré l’inconfort qui m’habite.
En me voyant arriver, la foule présente sous la bâche forme une haie pour me laisser passer, tandis que des chuchotements fusent, brouillés par la musique trépidante qui anime l’événement. J’en fais abstraction, serrant nerveusement le paquet-cadeau que je tiens. Je continue d’avancer jusqu’à l’intérieur de la maison où se déroulent les festivités. Sur le seuil, j’aperçois mes deux sœurs, Anta et Soda, en pleine discussion avec mes cousins, Laye et Mbaye. Un peu plus loin, des femmes s’affairent à la préparation des mets dans la cuisine, avec force tapage. Une explosion de saveurs titille mes narines, tandis que les palabres incessants des invités assiégeant les lieux bourdonnent dans mes oreilles comme un chant de désespoir.
Avec une nouvelle inspiration, j’avance d’un pas calculé vers mes proches et hésite un moment avant de les aborder : « Bonjour. »
Ils se retournent d’un commun accord et me sourient. Les embrassades sont chaleureuses, mais leurs regards me jaugent, malveillants.
— « C’est triste, je n’aurais jamais pensé que ma fille se marierait avant toi. Pourtant, tu l’as portée plusieurs fois sur ton dos et elle t’aimait beaucoup, même encore aujourd’hui. Tu as toujours été une bonne sœur, Ndèla. Tu ne mérites vraiment pas ce qui t’arrive », se désole Soda en me regardant avec des yeux débordants de tristesse.
Je ne sais même pas quoi dire ni comment réagir. Est-ce que je suis si pitoyable pour elle ? Pourtant, je gagne bien ma vie et bénéficie d’un meilleur confort financier qu’eux. Je n’ai juste pas eu de chance en amour, mais je ne le considère pas comme une fatalité.
— « Soda, nous savions tous qu’elle allait finir ainsi. Voilà ce qui arrive quand on cherche l’homme parfait : seule, sans enfants, une bien triste fin », assène Anta sans pitié.
— « N’empêche que je n’ai rien à t’envier avec ton mari incapable, ton fils violeur et ta fille vagabonde », crachai-je, une pointe de colère dans la voix.
Ce n’était pas la première fois qu’elle me lançait des remarques gratuites. On peut même dire que celle-ci est moins blessante que les autres. Mais j’imagine que j’allais finir par craquer un jour ou l’autre, et ce jour est arrivé.
— « Je ne te permets pas de me traiter d’incapable, Ndèla... », réagit Laye en me pointant du doigt, l’air menaçant.
— « Tu vas faire quoi ? Me frapper devant tout le monde ? Sache que je n’ai pas peur de toi ni de mes paroles. Si tu étais un chef de famille digne de ce nom, ta femme ne ferait pas du porte-à-porte pour quémander de quoi te nourrir, et ton fils ne sauterait pas sur les femmes comme une bête sauvage », le défiai-je, la rage montant en moi.
— « Je n’en crois pas mes oreilles. Toi, Ndèla, tu oses donner des leçons ! On sait tous la vie libertine que tu mènes. Tu es pire qu’une toilette publique où n’importe qui peut venir se soulager... »
Dans un excès de rage, je le gifle de toutes mes forces, la haine m’animant à cet instant. Le sifflement de la claque, mêlé au froufrou de mon boubou, attire l’attention sur nous. Mbaye, qui était resté passif jusqu’ici, intervient et empêche son frère de me sauter dessus. Je sais qu’il ne le fait pas pour moi, mais pour éviter que nous devenions la risée du monde. Depuis que je l’ai repoussé, les choses sont devenues étranges entre nous.
Soda, la main sur la bouche, reste figée, bouche bée, tandis qu’Anta joue à la victime, pleurant comme une petite fille, se mouchant avec son voile.
— « Tu ne m’as jamais respectée en tant que grande sœur, ni respecté mon mari ! Parce que tu es riche, tu te crois supérieure à nous, c’est ça ? Ma malédiction d’aînée est tombée sur toi, raison pour laquelle tu ne seras jamais heureuse dans ta vie. Je te le garantis. »
Je me prépare à rétorquer lorsque Soda me tire par la main et me force à m’éloigner avec elle.
— « Ça suffit, Ndèla. Vous n’êtes plus des gamines. Tu as 40 ans et elle en a 52, mais c’est comme si vous en aviez 12. Pour l’amour de Dieu, juste pour cette journée importante pour ma fille, comportez-vous comme des adultes, comme des tantes dignes de ce titre. Je peux compter sur toi ? », me supplie presque Soda.
— « Tu sais, ce n’est pas moi que tu dois blâmer. À chaque fois qu’Anta sortait des propos déplacés à mon encontre, j’ai toujours pris sur moi pour ne pas créer d’histoires. Tout à l’heure, j’ai éclaté parce que je n’en pouvais plus. C’était la goutte de trop. La seule personne à qui on devrait faire des remontrances, c’est elle. Parle-lui, Soda, qu’elle me laisse tranquille », rétorquai-je.
Soda jette un œil derrière elle. Je suis son regard et nous remarquons qu’Anta est entourée de gens qui essaient de la calmer, tandis qu’elle profère toutes sortes d’insultes et de malédictions à mon égard. Son mari, qui devrait faire preuve de plus de décence, la soutient. Le dicton s’applique bien à eux : « Qui se ressemble s’assemble. »
— « Tu vois ! », m’exclamai-je. « C’est elle qui me provoque. »
Soda secoue la tête, dépassée.
— « Je sais que tu es plus raisonnable qu’elle, raison pour laquelle je m’adresse à toi pour que tu puisses faire preuve de maturité. Essaie de faire comme moi. Je ne prends jamais à cœur ce qu’elle dit ou pense. »
J’hoche la tête pour marquer mon accord, et Soda sourit, contente que nous soyons sur la même longueur d’onde.
— « Votre querelle m’a fait oublier un détail. Le marié n’est toujours pas là, et il est bientôt l’heure pour la cérémonie religieuse à la mosquée. Tu as son numéro ? », s’inquiète soudain Soda.
— « Oui, attends, je vais l’appeler. C’est sûrement à cause des embouteillages. Ne t’inquiète pas », la rassurai-je en composant le numéro de Khadim.
Une voix féminine, que je pourrais reconnaître entre mille, me répond. Je tressaille, prise au dépourvu. Elle pensait sans doute parler à Khary, vu la manière dont elle me nargue :
— « Allô, chère cousine, tu dois être surprise d’entendre ma voix. Eh bien, ton petit chéri est avec moi. On passe du bon temps ensemble. Oublie le mariage, car il n’aura pas lieu. Je t’avais dit que Khadim est à moi et qu’il n’aime que moi. Pauvre de toi, il t’a lâchée le jour de votre mariage. J’espère que tu t’en remettras vite. Bref, je dois te laisser maintenant, vu que tu ne veux pas parler. À plus. Ciao. Mouah ! »
— « Qu’est-ce qui se passe ? Tu fais une drôle de tête », s’inquiète Soda.
Toujours avec le téléphone à l’oreille, je lui réponds, aussi perturbée qu’elle : « Il faut d’abord que nous nous posions quelque part. Ce que je m’apprête à t’annoncer n’est pas facile à avaler. »
— « Allons dans ma chambre », propose-t-elle en ouvrant la marche. J’ai du mal à suivre son rythme.
Je n’imagine même pas ce qu’elle et sa fille ressentiront en apprenant cette nouvelle.
Décidément, Ndiémé ne peut être que la progéniture d’Anta. Tellement occupée à voir le mal chez les autres, elle n’a pas eu le temps de bien éduquer ses enfants. Et le clown qui lui sert de mari n’est pas mieux.
Tel mère, telle fille.
Tel père, tel fils.
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Célibataire Endurcie À 40 Ans
RomansÀ quarante ans, Ndèla porte en elle les échos de choix non faits et de chemins non empruntés. Dans une société où chaque femme semble devoir épouser son destin à une certaine heure, elle défie les horloges sociales. Entre la pression du regard des a...