Chapitre 5

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J'avais eu trois jours. trois jours complets pour réfléchir à où, quand et comment j'allais annoncer à Minjun que non seulement je m'étais fait griller par Taehyung mais qu'en plus, il m'avait embauché. J'y avais songé durant des heures, de l'appel jusqu'au retour de mon train dans la gare de Séoul sans jamais trouver une solution viable. Trois jours plus tôt, pendant l'appel que le violoniste m'avait passé, j'avais obtenu un rendez-vous avec lui sans même avoir à ouvrir la bouche. Demain, nous devions nous retrouver au café où je l'avais si longuement espionné qu'il n'avait plus aucun secret pour moi. J'aurais pu choisir de ne rien dire à Minjun et de ne jamais me pointer à ce rendez-vous, mais j'avais conscience que tôt ou tard, tout finissait par se savoir.

Alors, devant chez lui, je fis les cent pas sans jamais m'arrêter. J'hésitai des minutes durant qui se transformèrent bientôt en une heure et ce fut lui, en ouvrant la porte qui me tira de mes angoisses.

- Qu'est-ce que tu fous là ?

- Minjun... prononçai-je en laissant échapper de la fumée.

- Entres, tu vas chopper la crève.

Il rentra dans la maison en laissant la porte ouverte derrière lui, me laissant entrer à sa suite. Je le retrouvai à côté du bar où il venait de se servir un verre de vin rouge, avec une classe qui m'époustouflai à chaque fois. Mais cette fois-ci, je n'avais pas le temps de m'attarder sur ce genre de détail. Ma gorge était serrée et mon cœur battait la chamade dans ma poitrine. Il me regarda en faisant tourner le liquide bordeaux dans son verre, l'air curieux de me voir là deux heures avant notre rendez-vous initialement prévu.

- C'était bien chez tes parents ?

- Oui... répondis-je en baissant les yeux.

Un autre silence s'installa, encore un de ceux où j'étais incapable de défaire les nœuds dans ma gorge, où la peur prenait le contrôle sur tout, surtout sur la raison. Les yeux posés sur le carrelage noir, je remarquai ses pieds avancer vers moi, à quelques centimètres à peine des miens, puis je sentis ses doigts se poser sur mon menton pour que mes yeux finissent aspirés dans les siens. Il pencha légèrement la tête sur le côté et de si près je pus sentir mon coeur accélérer encore un peu plus fort, et ce fut bien la première fois qu'il ne s'agissait pas de l'amour que je ressentais pour lui qui me fit cet effet.

- Toi, tu as quelque chose à m'avouer. Pas vrai ?

Je voulus baisser la tête mais ses doigts sur mon menton me le refusèrent, je fus alors piégé dans son regard noir où les reflets du lustre qui surplombait le violon dansaient. Je voyais flou, j'étais happé par ses yeux, comme au tout début.

- Tu vas me tuer. arrivai-je à murmurer en sentant ma gorge et mon estomac se serrer un peu plus à chaque mot prononcé.

- Dis-moi.

Un peu plus grave que d'habitude, sa voix résonna entre les murs comme si c'était la dernière fois que je pourrais l'entendre avant qu'il me tue réellement. Je dus prendre une grande inspiration pour étouffer suffisamment la peur et être en mesure de parler, celle-ci ne disparaissant jamais vraiment, peu importe la volonté qu'on y mettait.

- S'il te plait, ne t'énerve pas.

Et alors je commençai mon récit sans ne jamais m'arrêter ni édulcorer le moindre évènement, la moindre parole ou le moindre geste. Je racontai tout, de l'opéra, en passant par la première fois au lac jusqu'à l'appel qu'il m'avait passé trois jours plus tôt. Tout au long de mon récit il me laissa parler sans jamais m'interrompre, une expression neutre sur le visage, impossible à interpréter. Il m'écouta sans réagir, essayant probablement de canaliser sa colère face à mon indiscrétion. Lorsque je m'arrêtai enfin, essoufflé et au bord de l'évanouissement, ses yeux ne quittèrent pas les miens. Son visage resta placide, et il ne prononça toujours rien, laissant un petit silence s'étirer davantage au fur-et-à-mesure des secondes. J'aurais préféré n'importe quoi à ce silence. Des cris, des insultes, des objets cassés. Mais il resta calme quelques secondes encore. Puis finalement, il fit un pas vers moi. Mon regard toujours emprisonné dans le sien, je reculai, terrifié, comme si ma sentence allait enfin tomber, puis il fit un autre pas, et alors je m'abandonnai à celle-ci, me disant que de toute façon je la méritais. Je fermai les yeux, interrompant notre échange visuel. Dans ma tête se jouèrent alors des scénarios improbables où il me quitterait, se mettrait à me hurler dessus ou à faire pire encore. Mais il n'était pas comme ça, jamais. Et j'en eus la preuve lorsque je sentis une pression sur mes lèvres; les siennes venant tout juste de s'y écraser.

Le Violoniste ⁽ᵛᵏᵒᵒᵏ⁾Où les histoires vivent. Découvrez maintenant