29. Une douce symphonie

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Le camping-car emprunte la dernière petite route menant à la plage. Il reste moins de cinq cents mètres à parcourir pour atteindre le haut des impressionnantes falaises ocre faisant face aux côtes marocaines. Façonnées par l'océan Atlantique, elles forment des criques ou des grottes d'une beauté hors du commun.
— Waou, c'est magnifique, confesse Sabine.
Je souris.
— Et tu n'as encore rien vu ! Crois-moi...

J'aperçois, au loin, la série de pins parasols que j'aime tant. Cet arbre aux épines vertes, emblématique de la région, contraste avec le bleu de l'océan et celui du ciel. Leurs racines, incrustées dans la terre vermeille, aux nuances variables selon l'inclinaison du soleil, s'étalent dans un entre-mêlas aussi beau qu'impressionnant.

La diversité de couleurs, entre les eaux cristallines, le sol argileux ou le vert de la flore, forment un décor somptueux. Lors du coucher du soleil, l'ocre est le plus éclatant. Il me tarde de m'en approcher.
Sabine gare enfin le véhicule sur le parking à l'ombre d'une pinède. Nous sortons tous les trois en courant, pour rejoindre le bord de la falaise, anxieux à l'idée de passer à côté du coucher du soleil.

Nous ralentissons en arrivant près du précipice, conduisant quarante-deux mètres plus bas, à la magnifique plage de sable dorée. Tiago attrape ma main d'un côté et celle de Sabine de l'autre, nous avançons avec prudence, tout en admirant la beauté du panorama. Nous faisons face à l'immensité de l'océan. La nature nous rend humble lorsque nous la prenons en pleine face.

Nous observons cette Praia da Falésia majestueuse, de près de six kilomètres de long, surplombée de ses immenses falaises, constituées d'argile rouge et de couches de sable doré avec quelques touches blanches scintillantes. Le soleil est encore là, comme si, ce soir, il prenait tout son temps pour disparaître. Juste assez pour nous laisser l'apprécier. La vue est à couper le souffle, fidèle à mes souvenirs, elle ne trahit pas ma mémoire.
— C'est trop beau, maman !
Il n'existe pas de consolation plus grande que le sourire radieux de mon fils sur son visage éclairé par les rayons du soleil en déclin.
— Fabuleux, murmure Sabine, n'osant rompre le charme avec sa voix.

Je savais que mon amie serait émerveillée, autant que je l'avais été la première fois que mes pieds avaient foulé cette terre. Je repense à l'émotion intense ressentie, consciente que je venais de découvrir bien plus qu'un joli petit coin de paradis. Il s'agit bien de mon lieu « ressource ». Celui où je viens puiser mon énergie, où les tensions accumulées au fil des mois s'effacent, et où le bonheur est roi. Celui que j'ai choisi pour vivre aujourd'hui et mourir demain.

— Je ne m'en lasserai jamais, dis-je tout bas, bienvenue à la maison.
— A mon tour de te remercier, c'est un honneur de découvrir cette région avec vous deux, tu m'en as tant parlé.
— L'inverse aurait été impossible ! Bon, aller, on va trouver un emplacement pour notre camping-car, et profiter du calme de la vie en bord de mer. Que du bonheur !
— Je veux un endroit avec une piscine, maman !
— Avec un si bel océan, on peut se passer de piscine, tu sais ! Bon, maintenant, chut, admirons cette vue !

J'ai besoin de silence pour me reconnecter à la nature. Le bien-être que je suis venue chercher est extatique. Nous observons, sans un mot, le soleil descendre avec subtilité vers l'ouest, prêt à faire son grand saut dans l'océan. L'eau, d'un bleu profond au loin et aux nuances vertes près de la rive, se transforme peu à peu sous l'influence du soleil, pour ne former qu'un voile blanc scintillant.
— Tata Sabine, t'as réussi ! On est arrivé avant la nuit ! T'es trop forte.

Sabine embrasse Tiago sur ses cheveux bruns soyeux, nul besoin d'en rajouter.
Les vagues nous offrent un spectacle d'une beauté exceptionnelle, avec des ondulations régulières et douces à l'horizon, formées par une brise légère.

Nous nous laissons porter par le son produit par l'océan, en admiration devant les mouvements gracieux de la houle, donnant l'impression que l'eau se déplace horizontalement vers nous, jusqu'à former des rouleaux de plus en plus grands, s'échouant avec fracas sur le sable. Quelques surfeurs profitent un dernier instant avant la nuit et taquinent encore les vagues grâce au mistral. Elles paraissent toutes petites vues d'en haut, mais elles engloutissent pourtant les planches en leur creux, qui finissent par réapparaître comme par enchantement à l'extrémité du tube formé par l'eau.
— Certains disent que l'aurore ou le coucher du soleil sont les moments idéaux pour transmettre nos vœux à l'Univers, assure Sabine.
— C'est quoi l'aurore, tata ?
— Le moment où le soleil se lève. Et là, dans quelques minutes, il disparaîtra. Je propose à chacun de faire un vœu, poursuit-elle.
— Il ne faut jamais dire ses vœux, sinon ils ne se réalisent pas, hein, maman ?
— Oui, tout à fait, mon amour.

La musique offerte par l'environnement caresse nos oreilles. Nous nous asseyons sur la terre pourpre, en tailleur, face au soleil couchant. Tiago se love contre moi, je l'entoure de mes bras. Je ferme les yeux un instant, profitant de la chaleur des derniers rayons de la boule de feu et me laisse bercer par la musicalité ambiante. Le bruissement des épines de pins, les cris des mouettes virevoltant au-dessus de nos têtes, la mélodie des vagues, le sifflement du vent du Nord et la rythmique régulière produite par les battements de mon cœur. Une douce symphonie qui m'avait tant manquée.

Je songe à ce qui m'a amené ici et je fais un vœu, le cœur serré mais rempli d'espoir.
Un voile de fraîcheur frôle mon visage, la voix de mon fils me tire de ma rêverie. Je rouvre les yeux.
— Ça y est, le soleil est couché ! s'écrie Tiago.
— Et oui... C'était beau... Qu'est-ce que ça fait du bien !
— On fait quoi maintenant, maman ?

Tiago se lève à la hâte, prêt à en découdre. L'énergie débordante de mon fils de cinq ans contraste avec ma fatigue. Je n'ose pas me plaindre, de peur de les inquiéter, mais je suis épuisée. Une douleur lancinante traverse parfois mon sein et me rappele l'urgence dans laquelle je vis. Le non verbal de
Sabine confirme qu'elle n'est pas en grande forme elle non plus. Il faut dire qu'elle a conduit en grande majorité et que l'itinéraire est long.
— J'ai l'impression que tu es vraiment en pleine forme, mon chéri. Par contre, Sabine et moi, avec la route, on n'a plus vraiment de force pour faire quelque chose de spécial.
— On peut aller trouver un emplacement pour le camping-car, manger et peut être faire un petit jeu de société tous les 3 ? propose mon amie.
— Moi je veux me baigner, soupire-t-il en baissant la tête.
— Demain, sans faute, on se baigne ! Même moi, je te promets d'essayer, lui proposé-je. Et tu sais à quel point je n'aime pas l'eau froide !
Tiago se met à rire.
— Tu n'es pas en train de te moquer de maman, toi ? Viens par-là, que je t'attrape ! le menace Sabine.
Pris au jeu, Tiago se met à courir en direction de la pinède, heureux de la proposition de sa marraine.
— Tu ne peux pas m'attraper, marraine, je cours trop vite pour toi ! En plus, tu es fatiguée !

Sabine ne se laisse pas démonter et part à sa poursuite. Elle parvient à l'attraper et le chatouille avec énergie. Tiago est loin d'être déçu de sa défaite.
Un peu plus tard, nous nous installons dans un espace dédié au camping. Un endroit charmant, sans prétention, avec un accès direct à la plage, via un de ces immenses escaliers en bois.

Après le dîner, nous nous installons comme convenu avec des jeux de société. Les sept familles pour commencer, puis les classiques petits chevaux. Cette fois-ci, Tiago remporte la course, ce qui le met en joie avant de se coucher.

Nous sirotons notre thé bien chaud à l'extérieur du véhicule, avec Sabine. La nuit est douce, l'air est chaud. Nous sommes bercées par le bruit régulier de l'océan.
— Et dire que nous avions encore nos manteaux à Paris ! dit Sabine.
— Oui, la vie est douce ici.

Les falaises ocre [En soumission]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant