𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝟻 | 𝙱𝚎𝚕𝚕𝚎

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« If you're home, I just hope that you're sober. » - James Arthur.

Petite, je ne comprenais pas pourquoi mon père refusait de sortir un éthylotest lorsqu'on avait un doute quant à la cohérence de ma mère. Puis en grandissant, j'ai compris que le problème n'était pas seulement l'alcool. Il y avait aussi les mensonges et sa toxicité qui resurgissaient. En niant avoir consommé quelque chose, elle nous mentait à nous mais aussi à elle-même. Car elle finissait par s'en convaincre. Et avec papa, ce n'était pas à nous de jouer les policiers. Ça ne rimait à rien. On devait simplement lui éviter de blesser elle ou autrui.

Mais j'ai peur.

Si un jour l'appel que je reçois m'informe qu'elle a pris le volant dans cet état ? Qu'elle a eu un accident ? Qu'elle s'est blessée ? Qu'elle a blessé quelqu'un ? Même tué ? On dédommagerait la famille de la victime des années quitte à devoir hypothéquer la maison pour trouver l'argent nécessaire. On aura la vie d'un innocent sur la conscience car on n'aura pas fait assez attention.

On l'aura laissée partir.

J'ai peur.

Mais est-ce qu'elle aussi ?

Il est midi. J'ai cours dans deux heures. Si j'ai eu du mal à dormir en pensant aux auditions d'aujourd'hui, j'ai finalement décidé de ne pas les passer. A quoi bon ?

Ça m'a stressée toute la semaine pour finalement pas grand chose. Tant pis, je vais devoir mettre les bouchées doubles dans les matières où je suis la plus en difficulté.

Observant ma toile se remplir petit à petit de nuances noires et grises, je laisse ma conscience vagabonder. Lorsque j'achèterai mon premier appart', une pièce entière sera réservée à la peinture. Ce sera mon premier critère. Dans ce dix mètres carrés, j'ai préféré ne pas mettre de bureau afin de réserver un petit coin pour les créations. Il est nécessaire à mon épanouissement personnel. Mon truc à moi, c'est les portraits réalistes. Qu'ils soient à la peinture ou au crayon, c'est le visage humain que j'aime le plus travailler. J'adore capturer les micro-expressions de chacun.

J'ajoute une touche de blanc à chaque point qui se veut lumineux comme sur les pommettes, le bout du nez et le coin interne des yeux. Je me recule d'un pas, heurtant presque le meuble de la cuisine, afin d'observer avec un œil objectif l'avancée de mon travail

- Pas mal... Mais ça manque de vitalité.

Peut-être est-ce à cause de ce regard ? Des lèvres qui ne sont pas incurvées dans un sourire ? Des cernes près de ses yeux ? C'est toujours le cas avec mes portraits. Du plus loin que je me souvienne, je ne pense pas avoir déjà représenté une personne heureuse sur la toile.

Il faudrait que j'avance dans mon roman, j'en ai conscience... Mais j'ai encore du mal à coucher les mots sur le papier ces derniers jours. Alors je préfère attendre l'inspiration que d'écrire quelque chose qui ne me convient pas et qu'il faudra que je modifie par la suite. Je sais où mes personnages doivent aller. Seulement, je cherche encore le chemin qu'ils doivent emprunter.

Et c'est chiant à mourir.

Je jette un dernier coup d'œil sur ma toile et pousse un soupir. Finalement, je n'aime pas du tout. J'en n'ai marre de ne peindre que des gens malheureux... Je pars laver mes pinceaux dans l'évier pour éviter qu'ils ne s'abîment. Il s'agit du cadeau de mes dix-huit ans de ma mère. Ce sont les meilleurs disponibles sur le marché.

CODÉPENDANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant