2 ~ Cauchemar ou Vision ?

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Les habitants de Little Hangleton l'appelaient toujours la maison des « Jeux du sort », même s'il y avait de nombreuses années que la famille Jedusor n'y vivait plus. Elle se dressait au sommet d'une colline dominant le village, certaines de ses fenêtres condamnées par des planches, le toit dépourvu de tuiles à plusieurs endroits, la façade envahie d'un lierre épais qui poussait en toute liberté. Autrefois, le manoir avait une belle apparence, c'était sans nul doute le plus grand et le plus majestueux édifice à des kilomètres à la ronde mais, à présent, la maison des « Jeux du sort » n'était plus qu'une bâtisse humide, délabrée, déserte. Les villageois s'accordaient à dire que la maison faisait « froid dans le dos ». Un demi-siècle plus tôt, un évènement étrange et terrifiant s'y était produit, quelque chose que les plus anciens du village se plaisaient encore à évoquer lorsqu'il n'y avait rien de plus récent pour alimenter les potins. L'histoire avait été racontée tant de fois, enjolivée si souvent, que plus personne n'aurait su dire où était vraiment la vérité.
En tout cas, toutes les versions du récit commençaient de la même manière : cinquante ans plus tôt, à l'aube d'une belle matinée d'été, alors que la maison de la famille Jedusor était encore une imposante résidence soigneusement entretenue, une servante était entrée dans le grand salon et y avait trouvé les cadavres des trois Jedusor. On avait appelé la police et tout le village de Little Hangleton avait bouillonné d'une curiosité indignée et d'une excitation mal déguisée. Personne, cependant, n'avait gaspillé sa salive à déplorer la disparition des Jedusor qui n'avaient jamais suscité une grande sympathie. Mr et Mrs Jedusor, un couple âgé, étaient riches, arrogants, ma élevés, et leur fils déjà adulte, Tom, se montrait encore pire que ses parents. Tout ce qui importait aux villageois, c'était de connaître l'identité du meurtrier. Tous s'étaient réunis au Pendu, le pub du village, pour parler du triple homicide lorsque, en plein milieu des conversations, la cuisinière des Jedusor avait fait une entrée spectaculaire pour annoncer à l'assistance soudain silencieuse que le jardinier venait d'être arrêté puis relâché pour faute de preuves.
Le riche propriétaire qui possède à présent la maison des Jedusor n'y habite pas et ne la destine à aucun usage ; dans le village, on dit qu'il la garde pour des « raisons fiscales », même si personne ne sait exactement ce que cela peut bien signifier. En tout cas, il continue de payer Frank Bryce, le fameux suspect innocenté, pour s'occuper du jardin. Frank approche de son soixante-dix-septième anniversaire désormais. Sa jambe est devenue plus raide que jamais, conséquence de son service militaire. Pourtant les jours de beau temps, on le voit s'affairer autour des massifs de fleurs, même si les mauvaises herbes commencent à l'emporter sur lui. Les enfants du village ont pris l'habitude de jeter des pierres dans les carreaux de la maison et roulent à bicyclette sur les pelouses que Frank s'efforce d'entretenir avec tant de constance. Une ou deux fois, par défi, ils sont même entrés en forçant la porte. Ils savent que le vieil homme est très attaché au domaine et ils s'amusent beaucoup à le voir traverser le jardin en boitant, un bâton à la main, hurlant contre eux de sa voix rauque.
Aussi, lorsqu'il se réveille une nuit du mois d'août et voit que quelque chose de très bizarre se passe dans la vieille maison, il croit simplement que les enfants ont franchi un pas de plus dans leurs tentatives de le punir du crime qu'ils lui attribuent. Il se lève et descend l'escalier en claudiquant, dans l'intention d'aller à la cuisine remplir à nouveau sa bouillote d'eau chaude pour soulager la douleur de son genou. Debout devant l'évier, il lève les yeux et voit une lumière scintiller derrière les plus hautes fenêtres. Frank devine tout de suite que les enfants sont encore entrés dans la maison et, à en juger par cette lueur tremblotante, ils ont allumé un feu. Il enfile son long manteau, prend une vieille clé rouillée, pendue à un crochet près de la porte, et sort dans la nuit. Il pénètre dans la cuisine, aussi vaste qu'une caverne, et atteint le vestibule, un peu moins sombre grâce aux grandes fenêtres à meneaux. Parvenu sur le palier de l'étage, Frank tourne à droite et voit où se trouvent les intrus : au bout du couloir, une porte est entrouverte et la même lueur tremblotante brille par l'entrebâillement, projetant une longue traînée d'or sur le sol obscur.

Hazel & Harry Potter et la Coupe de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant