••• Critical limit exceed •••
••• Soldier program output •••
••• Control off •••
Mon corps chute automatiquement vers le sol au moment même où je redeviens moi-même. Une poigne sûre me retient juste à temps, et m'éloigne du béton qui aurait pu me coûter une commotion cérébrale.
— Tu vomis encore sur mes bottes, je te tue.
La voix froide qui s'adresse à moi est lointaine, mais suffisamment caractéristique pour que mon esprit embrouillé puisse l'identifier.
— Denzie, je crois que... Je crois que cette fois je vais y passer, tenté-je d'articuler alors que mon ami passe mon bras derrière sa nuque pour m'aider à marcher.
Grâce à son soupir, j'arrive à l'imaginer avec une mimique agacée qui ne me promet aucune douceur pour la suite. Il me trimballe dans les couloirs de la base militaire dont les murs gris éliminent, à eux seuls, toute envie d'originalité et de rébellion. Au détour d'un couloir, Denzel atteint la zone 4 réservée aux chambres de repos des soldats. Sa voix étant autorisée à l'accès, il parvient à ouvrir ma cabine pour de suite me jeter sans ménagement sur mon lit.
Quel connard !
La sensation de brûlure dans mon dos lorsque je rentre en contact avec le matelas dur m'arrache un geignement indigne de ma fonction de soldat. Puis, lorsque Denzel remet mon épaule en place sans me prévenir, la douleur et le bruissement aqueux réussissent à me faire crier – le genre de cri qu'on n'entend que chez les criminels que j'appréhende à coups de poing et de balle.
— Je te déteste, soufflé-je en me recroquevillant sur le petit lit.
La délicatesse ne tue pas.
Denzel ignore mes plaintes pour se contenter de m'enlever mon haut, mes bottes et les sangles qui retiennent mes armes.
— Je ne me déshabille pas le premier soir, plaisanté-je en fermant les yeux.
— À force de tout le temps te ramasser à la petite cuillère, je vais finir par croire que tu cherches à mourir.
Il me réprimande en plaçant des patchs de soin sur les hématomes les plus graves qui enlaidissent mon corps. Ces derniers s'activent alors à absorber le sang noirci sous ma peau. Une fois les premiers soins terminés, Denzel s'éloigne enfin pour jeter les patchs imprégnés de sang dans la poubelle dotée d'une fonction incendiaire. Il active ensuite une lumière violette à la charge médicinale pour éclairer tout le périmètre de mon lit, s'abattant au passage sur mon corps en miette.
Denzel reste debout au milieu de ma cabine, bras croisés avec cet air d'éternel ennuyé que je lui ai toujours connu. Ses yeux aussi sombres que les miens pèsent sur moi pour attiser ma culpabilité. C'est comme ça qu'il me punit. Et ça fonctionne.
— Si tu as envie de m'achever, fais-le vite, marmonné-je.
— Pourquoi tu laisse autant le champ libre à ton IA ? Ça va finir par te tuer et tu le sais.
Je souris à pleine dent en posant un bras sur mon front.
— Tu me connais, je suis un gros trouillard qui ne veux pas affronter consciemment les méchants.
— Toi ? Un trouillard ? s'offusque-t-il d'une voix calme en haussant un sourcil, quand un plus gradé te regarde de travers, tu lui fais bouffer ses dents.
— Si tu continues de me flatter, je vais finir par te demander en mariage.
— Dashiell. Je suis sérieux.
Je perds mon sourire amusé pour une expression faussement déçue.
— Hum... j'ai changé d'avis. Tu ferais une très mauvaise épouse, Denzie.
Grincheux inspire et se détourne pour quitter ma cabine, agacé comme toujours par mes enfantillages. Mais il se fige à proximité de la porte lorsque le récepteur à son poignet se met à vibrer. Il se tourne de nouveau vers moi, m'offrant le regard le plus ennuyé de son répertoire.
— Je vais bientôt partir en mission d'extraction, m'informe-t-il d'un air résigné, exfiltration d'un Observateur enfermé dans une prison nommée Alcatraz.
— Ça a l'air plutôt simple. Tu seras de retour pour le dîner. Je prépare quoi ? Des pâtes ?
Il hoche la tête sans conviction.
— Je vais encore m'y prendre sans faire appel à mon IA.
Je sens mes tripes brûler, comme à chaque fois qu'il est sur le point de mettre sa vie en danger au nom de ses convictions suicidaire. Malgré l'angoisse que m'inspire ses missions, j'essaie de garder mon sourire.
— Denzel, laisse la faire. Elle fera le travail avec plus de rapidité et d'efficacité. Tu seras revenu sans même t'être rendu compte que tu étais parti.
Il plonge ses yeux dans les miens, me montrant la pointe de colère que mon conseil anime en lui.
— Mon corps est à moi et à moi seul ! Si ça ne te dérange pas de te faire manipuler comme un jouet, ce n'est pas mon cas !
Je reçois ce reproche avec la même
teneur qu'un pieux en plein cœur. Je pourrais lui dire que j'ai besoin de lui, que je ne supporterai pas de le perdre. Mais les mots sont inutiles. Au fond, il sait que je m'accroche à lui. Tout comme je m'accrochais à Dean...Alors je ne le contredis pas. Car il a raison, je n'ai aucun problème avec le fait que mon IA prenne le contrôle de mon corps. À contrario de Denzel qui serait peut-être prêt à mettre une révolution sur pied pour ne plus avoir à endurer ça. Évidemment que j'ai peur de me réveiller sans une jambe, un bras ou autre à cause des actions extrêmes de l'IA sur le corps dont elle prend possession... Je reste humain après tout. Mais le sentiment de puissance qu'elle me procure n'a pas de limite.
Aucune peur, aucune réflexion, aucune hésitation n'est tolérée. Je ne sais même plus en quelle année cette technologie a été créée, ou même quel était son véritable but, mais à ma connaissance et selon ce qu'on en dit, elle existe uniquement dans le milieu militaire. Il y a quelques années, on ne faisait pas autant confiance à l'Intelligence Artificielle comme aujourd'hui, c'était trop risquer de l'insérer dans des corps robotiques dotés de compétences de combat. Les hommes ont préférés restreindre l'IA en l'implantant dans la tête des soldats. Elles peuvent ainsi prendre le contrôle du corps humain et intervenir plus vite lorsqu'il le faut. Créer un monde plus sûr en diminuant tout risque inutilement dramatique.
Il n’y a qu’une anomalie qui fait tâche dans ce parfait mécanisme : Moi. Car je n'ai jamais signalé à quiconque que mon IA à moi est endommagée. Lorsque je lui passe le contrôle de mon corps, j'ai toujours conscience de ce qui se passe autour de moi, de ce que je fais. Je peux même prendre le contrôle de certaines actions et en refusé d’autres. Hors, ça ne devrait pas être le cas. Mais là encore, ce n'est pas vraiment moi qui agis. Bêtement, je dirais que c'est une autre personnalité qui me permet d'y voir cent fois plus clair.
Le danger est secondaire, mes réflexes sont multipliés par cent et la pitié n'existe pas. Ma personnalité si sarcastique et empreinte à l'amusement est alors écrasée par mon alter-ego impitoyable. Ce n'est pas mon IA qui détruit mon corps durant chaque mission périlleuse. L'unique responsable c'est moi : ce bon vieux Dashiell.
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Erroné
Science FictionL'humanité a enfin atteint l'utopie parfaite. La famine, les guerres et les inégalités ont été éradiquées. Mais pour accéder à tout cela, il est obligatoire de dédier son entière existence à l'intelligence artificielle. Les incompatibles à ce systèm...