6 ◇ She's not like us

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- Docteur Michael, peux-tu vérifier si je n'ai pas une commotion cérébrale ? J'ai des... hallucinations.

Soit le capitaine que j'ai tué m'a bien défoncé le crâne, soit je suis entrain de rêver. Ce sont les explications les plus plausibles qui me viennent en tête. Le médecin hausse un sourcil sans toutefois me poser de questions. Il me palpe d'abord le haut du front, à la recherche d'un quelconque heurt ou renflement suspect. Je le laisse faire, trop perdu dans les yeux de la blonde pour me bouger le cul.

- Tu n'as rien et les données de la chaise Bioscan n'indiquent aucune anomalie.

Soucieux de me mettre à l'aise, le docteur m'offre un sourire tout ce qu'il y a de plus compatissant.

- Quel est ton rythme de sommeil, soldat ?

Il a beau parler, je n'ai d'yeux que pour la mystérieuse qui ne cesse de se promener dans la pièce, fourrant des objets par-ci par-là dans les poches de son uniforme de patiente. Je rêve ou elle est en train de voler ouvertement du matériel médical malgré ma présence ?

- Dashiell, insiste le docteur Michael, réponds-moi, s'il te plaît.

Je reporte mes yeux sur lui. Mon cœur palpite et mon souffle ne cesse de me trahir. Cette panique soudaine semble l'inquiéter plus que de raison.

- Cinq heures de sommeil, lui répondis-je vaguement, tous les deux jours.

Mes pensées se recentrent sur l'étrange inconnue qui remonte sur son lit d'hôpital en sifflotant. Je vois bien que le docteur me parle, cependant mes sens sont trop en émoi et terriblement confus. Est-ce parce que mon IA est endommagée que je vois cette femme qui n'est pas vraiment là ? J'ai toujours été un peu dingue, mais là...

- Bon, ça suffit, je vais prévenir votre chef que vous prenez deux jours de repos. Attendez ici, le temps que je prépare votre dossier médical.

Hum, quoi ? Le temps que je réalise, le médecin quitte déjà la chambre. Trouvant la situation absurde, je décide de me lever pour partir, quitte à ignorer miss invisible.

- Le médecin t'a demandé de rester là, beau soldat.

Je me fige lorsqu'une paume se pose sur mon bras. Sentant comme une menace s'abattre sur moi, mes réflexes me poussent à tenter une prise pour plaquer la blonde au sol. Je débute la manœuvre en attrapant son bras, pour poursuivre par un balayage des jambes.

Du moins, c'est ce qui aurait dû se passer.

Avant de comprendre ce qui m'arrive, je me retrouve violemment cloué par terre, une douleur sourde se réveille au bas de mon dos. L'oxygène quitte mes poumons au moment même où je sens un poids lourd s'abattre sur mon torse. En ouvrant les yeux, quelle n'est pas ma surprise en découvrant la mystérieuse blonde me regarder de haut, un pied posé sur mon ventre.

Sa force me déboussole.

- Tu n'es pas de taille, mon beau.

Enragé, j'attrape son pied pour tenter de la renverser, mais elle ne bouge pas d'un pouce. Je me sens comme un bambin faible sous le joug d'un adulte, la différence de force est un gouffre impossible à combler. Comment est-il possible qu'un soldat de mon niveau puisse être si misérable face à une femme si frêle ?

C'est à n'y rien comprendre.

- Dashiell, c'est ça ? me demande-t-elle avec un air mi-curieux, mi-amusé. J'ignore pourquoi tu arrives à me voir et à me parler, mais tu m'as sauvé la vie en m'emmenant dans cet hôpital. Sache que c'est la seule raison qui me retient de te briser la nuque.

Je fronce les sourcils. Le peu d'honneur qu'il me reste m'oblige à retenir un gémissement de douleur lorsqu'elle accentue la pression de son pied sur ma cage thoracique. J'ai la sensation que mes côtes vont bientôt lâcher.

- Mais je reviendrai pour toi. J'ai l'intime conviction que ton cas pourrait s'avérer utile à notre révolution.

- Quelle révolution ? bredouillé-je, affaibli par le manque d'oxygène. Tu es une Irrésolue ?

Elle penche la tête, faisant glisser ses longues mèches blondes sur ses épaules.

- Les Irrésolues, comme tu les appelles, sont des gens qui risquent leur vie pour diminuer l'emprise de l'intelligence artificielle sur votre quotidien. Je n'en fais malheureusement pas partie...

Elle marque une longue pause, hésitant à me confier la suite, qui semble pourtant la démanger.

- Mes semblables et moi, nous nous battons pour notre droit d'exister. Nous sommes ceux qui ont été chassés dès la naissance et effacés de la mémoire collective. Tout ça parce que votre foutue Nexa est incapable de nous parasiter.

- Médire sur Nexa est un crime de premier degré. Je m'assurerai de t'exécuter de mes propres mains.

Ma menace ne l'ébranle pas d'un cil.

- Je n'en attendais pas moins. Tu n'es qu'un bon petit soldat, après tout. Un pion dont la raison de vivre est d'obéir. Mais j'ai une info pour toi. Nexa, cette intelligence artificielle en qui tu crois tant, considère que ta vie n'est qu'une suite de chiffres. Rien d'autre.

Ses propos font naître en moi une colère qui n'a pas lieu d'être. J'ai envie de lui crier que je ne suis pas comme ces citoyens morts-vivants et sans personnalité. J'ai mes propres convictions, ma propre conception de la vie. Mais, pour une raison que j'ignore, ces mots refusent de sortir. Ils me paraissent blasphématoires.

- Qui es-tu, bordel ? m'énervé-je.

Elle me fixe comme si le trouble qui m'habite était un spectacle des plus divertissants.

- Mon nom est Esther.

Son pied s'éloigne enfin de moi, me permettant de respirer normalement. Je me redresse aussi vite que je peux pour m'éloigner, saisissant mon pistolet. Malgré le fait que je pointe l'arme sur elle, son regard ne trahit aucune peur.

- Tu ne vas pas me tirer dessus quand même ? susurre-t-elle en agrippant sa poitrine. Je t'ai entendu dire au médecin que j'avais des seins à tomber par terre. Tu veux vraiment les gâcher ?

Je fronce les sourcils, mais elle éclate de rire, comme si je ne représentais pas une réelle menace en cet instant. Pire, elle me tourne le dos et se dirige posément vers la salle de bain connectée à la chambre médicale. La porte claque, poussant mon humiliation un peu plus loin. J'ordonne à mes pieds d'avancer pour aller confronter cette femme... mais l'appréhension me paralyse de bout en bout.

Face à cette faiblesse, je ne vois aucune autre perspective que de quitter l'hôpital.

ErronéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant