4 - Les malentendus de la distance

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Évidemment.

C'est pile au moment où je ne surveille pas qu'il appelle. Comme un fait exprès.

Je sors en trombe dehors pour le rappeler mais il pleut encore énormément et l'abri sous la devanture du bar est minime. Je cours me réfugier sous le rebord de l'entrée d'un immeuble du trottoir d'en face, histoire d'être à peu près épargnée par la pluie. Ma course de quelques secondes me trempe quand même jusqu'à l'os... Je vais commencer les cours malade à ce rythme !

Impatiente d'entendre Adam, je lance l'appel immédiatement. Je n'ai même pas besoin d'attendre une sonnerie, avant qu'il ne décroche.

- Hé, je m'inquiétais ! Je t'ai appelé au moins 5 fois... me dit-il d'une voix douce teintée de reproche.

- Excuse-moi... Je suis avec Emilie et des amis à elle, on discutait. Je suis...

- Ah bon ? me coupe Adam, tu ne m'avais pas dit que tu sortais ce soir.

- Parce que je ne le savais pas moi-même. Emilie devait voir des amis et elle voulait à tout prix me traîner avec elle. Tu la connais, elle est du genre déterminée quand elle veut quelque chose.

- D'accord... Ses potes sont sympa ?

- Oui, ils ont l'air. Après tu sais comment je suis... Du genre pas très loquace quand je ne connais pas les gens alors je suis plus dans la contemplation que dans la discussion.

- Je croyais que tu n'avais pas vu mes appels parce que tu discutais justement.

Ses paroles prennent mine de rien une tournure de plus en plus conflictuelle qui commencent à faire naître en moi une pointe d'inquiétude quant à la poursuite de cette conversation...

- En fait, à peu près au même moment où tu as appelé, Emilie m'a présenté un pote à elle qui s'investit dans l'association étudiante politisée qui me faisait de l'œil, je t'en avais parlé, tu t'en rappelles ?

- Oui oui, je m'en souviens. Tu vas t'y inscrire alors ? Quand on en avait parlé, tu étais loin de vouloir franchir le pas...

- Je vais peut-être juste aller à une de leurs réunions bientôt, pour voir comment ça se passe.

Un silence s'installe alors. Les secondes s'égrènent les unes après les autres. Je ne sais pas quoi dire d'autre. J'ai l'impression de marcher sur des œufs depuis qu'il a décroché.

- Ça va mieux que ce matin alors ? finit-il par demander.

- Oui, clairement, je réponds spontanément avant de me raviser. Enfin, tu me manques toujours autant mais...

- Mais tu as eu l'esprit bien occupé, me coupe Adam sur un ton que je n'arrive pas à déchiffrer.

- Oui voilà. Et ta journée, tu me racontes ? Ça s'est bien passé ?

- Content que tu finisses par t'en inquiéter ! Oui, ça s'est bien passé.

Et merde. Nous voilà embarqué pour de bon dans une mauvaise direction ! Alerte embrouille droit devant !

- Adam... Ne le prends pas comme ça, j'ai attendu ton appel depuis ton dernier texto vers 16h... J'ai eu le nez vissé sur mon portable quasiment tout le temps !

- C'est pour ça que j'ai essayé d'appeler pendant une demi-heure dans le vide ?

- Il est quasiment 22 heures... Excuse-moi d'avoir baissé ma vigilance le temps d'une discussion !

- Je ne vais pas m'excuser de profiter du temps supplémentaire qu'a bien voulu nous accorder un de nos profs en nous emmenant dans un journal en pleine phase de finalisation de la une de demain !

- Mais je ne te demande pas de t'excuser...

- Tu me reproches d'appeler tard ! crache-t-il à l'autre bout du fil.

- C'est toi qui me reproche de ne pas avoir décroché tout de suite ! Et puis, en y réfléchissant, un message pour me prévenir que tu appellerais plus tard ne t'aurait pas tué !

- J'étais dans le feu de l'action, je n'y ai pas pensé !

Évidemment Monsieur mauvaise foi...

- Et bah moi, c'est pareil Adam, j'étais en train de discuter, je n'ai pensé à surveiller mon portable à chaque seconde !

- Comme tu l'as dit, il est tard, je vais aller me coucher, bonne nuit Alexia.

Et il raccroche, sans me laisser le temps de rajouter quoi que ce soit.

Incroyable ! J'avais oublié à quel point il pouvait être exécrable quand il est contrarié.

Un petit vent me fait grelotter. Ça fait plusieurs minutes que je n'ai pas bougé, fixant mon écran en me demandant quoi faire.

Faut-il que je le rappelle ? Il n'y a pas matière à se fâcher... J'ai vraiment attendu son appel toute la journée et il a l'air d'oublier que j'étais presque prête à rater les cours ce matin pour rester au téléphone avec lui.

Je le connais assez bien pour savoir qu'il est trop tôt pour tenter de le contacter. Quand il est en colère, il ne veut rien entendre et je risque d'en prendre encore plus pour mon grade...

Je donnerais tout pour repartir quelques semaines voire quelques mois en arrière. Je crois qu'on peut dire sans hésiter que j'ai touché du doigt ce que signifie le mot bonheur. J'étais sereine à tous les niveaux. Familial, amical, scolaire... et surtout amoureux !

Adam a pris une place démesurée dans ma vie. Il est devenu un roc, un pilier. Ma moitié.

Notre relation est devenue fusionnelle au gré des mois. Cet été, nous n'avons pas passé une journée ou une nuit l'un sans l'autre. A se parler. A se balader. A se dévorer.

On s'est raconté notre enfance. Notre peine endeuillée.

On s'est mis à nu l'un face à l'autre dans tous les sens du terme. Je n'ai jamais été aussi proche de quelqu'un mentalement, physiquement non plus. Le mot relation n'était pas assez fort pour nous caractériser. Symbiose serait plus adapté.

Nous avons clairement agacé tous nos amis. A toujours devoir être au contact l'un de l'autre. A se parler parfois même juste du regard.

Je connais ses travers, son mauvais caractère parfois... mais j'ai surtout appris à connaître la belle personne qui se cache derrière ce masque froid et parfois méprisant.

C'est pour ça que même si à cet instant présent, il m'énerve comme pas possible, je sais que ce n'est que passager.

On s'est promis de se faire confiance et de ne pas laisser la distance nous détruire.

L'absence de dispute ne faisait pas partie de la liste de nos résolutions... On se connaît trop bien pour ça !

L'envers de la confianceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant