5 - Adam

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Les mains au-dessus de mon clavier, je fixe la page vide qui me fait face sur l'écran de mon ordinateur. Ça doit bien faire une heure que je la contemple, n'arrivant pas à faire poindre le moindre mot.

Lâchant l'éponge, je referme énergiquement mon PC en soufflant bruyamment. Ma brusquerie fait sursauter ma voisine de siège qui me regarde d'un œil de plus en plus mauvais.

Je ne peux pas la blâmer. Depuis que notre train a quitté la gare à 6h du matin, elle essaie de dormir, la tête posée contre la vitre et moi... je ne fais que gigoter et pester dans mon coin.

Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit.

Ma dernière discussion avec Alexia m'a mis dans tous mes états. Et je suis passé par une palette assez large de sentiments. De la colère à l'indignation, puis à l'inquiétude et pour finir... à la consternation. Ma propre consternation.

Est-ce que je suis vraiment ce gars qui promet à sa copine que leur relation à distance va se passer à merveille et qui à la moindre contrariété lui raccroche au nez ?

Oui, c'est exactement moi. Sauf que je ne veux pas être cette personne.

Ce serait injuste pour elle, et surtout, pour nous.

La vérité c'est que ces mille putain de kilomètres qui nous séparent sont bien plus compliqués à accepter que ce que j'imaginais. J'ai l'impression de ne plus avoir aucun contrôle sur notre histoire, que tout est en train de m'échapper. On aura beau s'appeler et se voir de temps en temps, au final, on va se construire un quotidien chacun de notre côté. On va évoluer en parallèle pendant au moins 3 ans. Qui sait si ensuite, on aura envie de bifurquer pour que nos deux segments de vie fusionnent de nouveau ?

Après mon coup d'éclat d'hier soir, je n'ai pas réussi à me laisser gagner par le sommeil. J'ai fait les 100 pas dans ma chambre. Et puis, sans vraiment savoir comment l'idée m'est venue, j'ai été faire un tour sur le site de la SNCF et j'ai réservé le premier train pour Paris.

Il faut que je la vois sans écran interposé, que je la touche... pour que notre connexion s'établisse de nouveau. Je me sens comme un téléphone qui ne capte que du Edge et qui a besoin de se rapprocher de son antenne relai pour de nouveau fonctionner correctement.

Le grésillement des haut-parleur réveille ma voisine, qui n'aura décidément pas réussi à se reposer. La voix du chauffeur nous indique 10 minutes de retard supplémentaire. A ajouter aux 10 premières préalablement annoncées... Après presque 6 heures de train, je ne suis pas à ça près mais ça me gonfle quand même.

Ça va nous faire arriver vers 13h à Paris... Je voulais rejoindre Alexia chez elle avant qu'elle aille en cours mais ça va faire trop juste. En plus, honnêtement, une bonne douche ne me ferait pas de mal. J'irai donc l'attendre à 17h à la sortie de la fac. Ça me permettra de voir d'un peu plus près son nouvel environnement, celui où je ne suis plus qu'un personnage secondaire.

Lorsque nous arrivons enfin, je laisse les autres passagers descendre. J'ai le temps et ma jauge d'énergie est de toute façon presqu'à plat... Mes pas me mènent par automatisme jusqu'au métro, puis jusqu'à mon appartement. Enfin, celui de mon père. Tout me semble tellement familier, comme si je rentrais chez moi. Mon vrai chez moi. Je ne suis finalement qu'un expatrié dans le sud.

La clé glissée dans la serrure bloque, la porte n'est étonnement pas verrouillée. Je tourne la poignée et tombe nez-à-nez avec mon père, de dos et... en caleçon.

- Tu as fais vite dis-donc ma...

Sa phrase reste inachevée lorsqu'il réalise que c'est moi qui lui fait face et non « sa » je ne sais quoi.

L'envers de la confianceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant