Chapitre 1

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Je crois que je viens de faire une grosse bêtise.

J'ai toujours eu besoin de piment dans ma vie. Mais là, j'ai fait fort. Quand je pense aux conséquences, je me dis que j'aurais mieux fait de boire une bouteille de tabasco.

À ma décharge, ce n'est pas vraiment de ma faute. C'est l'algorithme. Il a réussi à glisser dans mes suggestions la photo d'un homme dont le regard m'a figée. Ces yeux, je les connaissais par cœur. Ils ont hanté mes rêves d'adolescente, mes journées de lycée et mes nuits de jeune adulte. Je les ai tellement fixés, attendant que l'individu à qui ils appartenaient se rapproche enfin de moi. Il aurait suffi d'un freinage de bus un peu violent pour que ses lèvres se posent sur les miennes. Qui elles-mêmes demeuraient orientées, avec fort peu de naturel, vers le visage tant désiré. Quelle maladroite je faisais à l'époque ! Je trébuchais sans arrêt, plus spécialement quand un certain garçon se trouvait à mes côtés. C'était toujours à lui que je me rattrapais. Il en rigolait, faisant remarquer à tout le monde qu'il devait me porter la poisse. Quel idiot !

Malgré mes gros sabots, il n'a jamais tenté quoi que ce soit. Et j'aurais préféré mourir plutôt que de me lancer. Quelle idiote !

Pour expliquer cette situation bloquée, j'envisage deux options. La première : il n'a pas du tout saisi le sens de mon langage corporel, qui manquait pourtant cruellement de subtilité. La seconde : il n'était pas intéressé. Ce que je peux comprendre, à la vue de certaines photos me représentant à cette époque.

Je n'ai jamais su s'il avait eu une attirance pour moi. La timidité maladive que l'on peut ressentir à cet âge-là agit comme une camisole. On préfère se taire plutôt que de se dévoiler. Quitte à passer à côté de belles choses.

Voilà donc devant mes yeux, la photo de ce garçon, de cet homme maintenant, qui m'avait tant attirée. Si mes souvenirs sont bons, ce crush avait quand même duré plus d'un an. On s'était ensuite perdus de vue après le lycée. Mais il était revenu me voir, sous la forme d'un personnage intéressant, dans certains de mes rêves érotiques. Il passait plus ou moins régulièrement, entre Brad Pitt et Ian Somerhalder. Enfin, chacun leur tour. Si quelqu'un devait se trouver entre les deux individus précités, c'était plutôt moi. Mais je m'égare.

Ainsi, sous mes yeux, apparaissait ce visage, que j'avais tant de fois rêvé de voir se pencher vers moi, pour m'embrasser langoureusement. Et cette bouche, parcourir mon corps, pour y éveiller de délicieux frissons de plaisir. Je n'avais que peu d'expérience en matière de sexe à cette époque. Deux ex-boyfriends sur mon CV, dont un (le deuxième) avec qui j'étais allée plus loin. Au bout, quoi.

C'était notre première fois à tous les deux. Rien de très passionnel à retenir de ce moment. On était plutôt dans la technique pour que "ça rentre" sans me faire trop mal. J'avais aussi très peur de saigner dans les draps. Les miens. Je ne voulais pas que ma mère soit au courant, elle qui n'attendait que ce moment pour se réjouir que "ce soit fait". C'était mon jardin secret et je tenais à ce qu'il le reste. Toute discussion à thématique sexuelle entre elle et moi déclenchait immédiatement un réflexe de fuite absolu de ma part, et de poursuite de la sienne.

Après cette première fois entre ce garçon et moi, vint une deuxième, puis quelques autres encore, mais rien de bien mémorable pour l'un comme pour l'autre. Avec une intelligence relationnelle rare pour notre âge, nous avons décidé de nous séparer, car visiblement, il n'y avait entre nous aucune alchimie sexuelle. Cette rupture amoureuse ressemblait étrangement à la clôture d'une collaboration professionnelle, durant laquelle les deux parties avaient atteint leurs objectifs. Malgré les efforts consentis, toute progression supplémentaire semblait improbable. Il était donc préférable de se serrer la main avec amitié.

Je restais persuadée que le plaisir sexuel était possible. Même à seize ans. La preuve : on en entendait parler tout le temps. À la radio, à la télé, dans les magazines, mais surtout dans les toilettes du lycée. Selon moi, il fallait simplement trouver la bonne personne.

Des années plus tardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant