Chapitre 3

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Quand j'ai réalisé ce que je venais de faire, et les conséquences dramatiques évidentes, je suis vite redescendue sur Terre. Après avoir épluché l'aide en ligne de Facebook à la recherche du bouton pour effacer un message envoyé (qui n'existe pas, pour info), j'ai dû me rendre à l'évidence. Je m'étais laissée emporter par un vieux paquet d'hormones adolescentes périmées, mais encore efficaces. Impulsion, embrasement, fébrilité, une tornade d'émotions s'était emparée de mes pensées, de mes gestes et de ma volonté. Mes mains, sous la direction de mon subconscient, se sont mises à écrire toutes seules et, pire que tout, à cliquer sur "Envoyer". Ça fonctionne comme excuse ? Pas certaine.

Et ma conscience dans tout ça, où était-elle passée ? En pause sieste, avant de revenir au boulot pour me culpabiliser ?

Conscience : Et Julien, tu y as pensé ?

Brune : Évidemment que non.

Conscience : Tu ne l'aimes plus ?

Brune : Bien sûr que si. C'est juste que, pendant un moment, je me suis retrouvée comme sortie de ma vie quotidienne et plongée dans celle d'il y a 20 ans.

Conscience : Ça porte un nom en psychiatrie.

Brune : Eh oh ! Je ne suis pas folle ! J'ai juste oublié un truc.

Conscience : Oui, un détail. Que tu étais mariée !

Ok. Je n'ai aucune excuse, mis à part celle de ne pas avoir de contact avec ma bande de potes du lycée. Clairement, ça me manque et j'ai sauté sur l'occasion. Si c'est tombé sur l'homme avec qui j'ai toujours eu envie de coucher, disons les choses franchement, c'est un pur hasard. Promis.

Quand j'ai changé de région pour suivre Julien, BTS en poche, j'ai coupé les ponts avec tout le monde. À l'époque, c'était le début des portables. On n'avait pas les réseaux sociaux. Si on déménageait, on devait se refaire des amis sur place.

Je n'ai pas du tout regretté mon choix, les premières années. Avec Julien, nous formions un couple parfait, avec beaucoup de communication. Il était beau, et l'est toujours. Sportif, attentif aux détails, pas de disputes entre nous. Vraiment, une belle histoire d'amour.

Conscience : Alors pourquoi as-tu précisé "les premières années" ?

Brune : J'ai dit ça, moi ?

Ce couple parfait, c'est bien sur le papier. Ça fait rêver les autres. Mais pas moi. Enfin, plus maintenant.

J'ai vraiment été heureuse pendant plusieurs années. Qui n'apprécie pas les massages des pieds en fin de journée ? Un amoureux qui joue les sherpas lors de virées shopping ? Un homme qui vous amène le petit déjeuner au lit avec des croissants chauds le dimanche matin ?

Sauf qu'à la longue, c'est trop ! Julien m'a si souvent cajolée, protégée, réconfortée, soutenue que j'ai l'impression d'être une reine aux pleins pouvoirs. Mais ce n'est même pas ça le pire. Ce qui m'horripile le plus chez mon mari, c'est qu'il est toujours d'accord avec moi. Il fuit le conflit en permanence.

Vous me trouvez capricieuse ?

Essayez de vous représenter une personne qui dise oui à toutes vos demandes.

"J'ai envie de peindre la chambre en jaune. Très bonne idée !"

"On part au Maroc cet été. Oui. Tu préfères la mer ou le désert ? Comme tu veux, ma chérie."

"Tu veux manger quoi ce soir ? Ce qui te fait plaisir."

"Fais-moi l'amour comme un sauvage. Je n'ai pas envie de te faire mal."

Alors, OK, là, il ne dit pas oui, mais seulement pour ne pas me brusquer. J'en viens à me demander où est passée sa personnalité. Est-ce qu'il en a une, au moins ?

Forcément, un homme comme ça, on ne peut qu'être séduite au début. Parce que se faire traitée comme une princesse, être mise sur piédestal en adorée en permanence, ça a son charme. Sauf qu'au bout de 8 ans, je n'en peux plus. J'ai envie d'un peu de confrontation, de discussions, de débats où chacun essaye de convaincre l'autre.

Et je n'ai pas ça.

Et ça me manque terriblement.

Oui, je suis malheureuse d'être aimée de la sorte. Je ne peux pas quitter Julien. On ne quitte pas quelqu'un parce qu'il est trop gentil. C'est horrible de faire ça. Je ne peux même pas lui en parler. Imaginez un peu !

"Mon chéri, peux-tu être plus méchant avec moi ? J'ai envie de voir ton côté viking, brut, homme des cavernes. Je veux qu'on se dispute sur le choix d'un film, qu'on boude chacun de notre côté et qu'on se réconcilie au lit."

Rien que de lui demander ôterait tout le plaisir du jeu. Au fond, je voudrais qu'il soit quelqu'un d'autre. J'ai mis sûrement trop de temps à m'en rendre compte et maintenant, c'est un peu tard pour faire marche arrière.

Des années plus tardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant