Je ne peux parler à personne de mon mal-être. On ne me comprendrait pas. J'ai bien essayé d'aborder le sujet avec Élise, ma meilleure amie d'enfance. On est toujours restées en contact, par mail. Lors de nos échanges réguliers, on se raconte nos vies. Elle avec ses quatre enfants et moi, sans enfants, mais à la vie professionnelle bien remplie. Je jongle entre mon travail "d'assistante-administrative-dans-une-entreprise-de-transport" pour payer le loyer et mon activité plaisir de macramé. Non, le macramé, ce n'est pas que pour les vieilles ! Je fabrique des objets en nouant des fils de coton. C'est hyper tendance sur Pinterest. Sauf que je n'en vends pas beaucoup. Tout juste de quoi m'acheter du nouveau matériel. La raison est simple : tout le monde peut le faire. J'ai moi-même appris sur YouTube...
Concernant Élise, je sais qu'elle sera toujours là pour moi si j'ai besoin d'elle, et inversement. Même si elle vit à l'autre bout de la France et qu'on ne se voit jamais. Lyon-Brest, ça ne s'improvise pas pour une mère de famille !
Si un jour, l'une de nous deux doit dissimuler un cadavre, l'autre débarquera immédiatement avec une pelle et une bouteille de rosé, en mode : "Where is the body ?" C'est ça, une vraie amitié.
Toujours est-il qu'elle a bien rigolé quand je lui ai dit que Julien m'agaçait par son manque d'opposition chronique.
"Tu veux dire qu'il est trop d'accord avec toi. Oui.
Qu'il participe aux tâches ménagères sans que tu lui demandes ? Oui.
Qu'il te masse les pieds ? QU'IL TE MASSE LES PIEDS !!! Oui."
Là, elle a eu du mal à comprendre. Elle aimerait, de son côté, avoir un homme présent, qui joue son rôle de père. Un adulte, qui réalise qu'une mère au foyer de quatre enfants se passerait bien d'un cinquième enfant de 39 ans.
J'ai donc arrêté de parler de mes problèmes de couple avec Élise. Nos vies, si différentes, ne nous permettent pas de nous mettre à la place de l'autre. D'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi elle a continué à faire des bébés, alors que, dès la naissance de son premier, elle se plaignait de ne plus avoir de temps pour elle.
Question de point de vue, sûrement.
Concernant Charles, on n'avait pas vraiment été intimes au lycée, pas plus qu'avec d'autres membres de la bande. À mon grand désespoir, vous l'aurez compris. À cette époque, nos parents étaient voisins et nous, on partageait nos trajets en bus. Plus je pense à cette époque, et plus les images affluent. C'est fou ! Je redécouvre notre passé commun, comme on lit les pages d'un livre, retrouvant mes rêves, mes envies, mes sensations intactes.
Mes souvenirs les plus marquants sont tous liés, de près ou de loin, à cette bande. Les matins de semaine, pendant le quart d'heure de bus, qui nous emmenait en cours, à refaire le monde ou réviser en extrême urgence, une leçon oubliée. Les pauses entre les maths et le français, à fumer en cachette. Les fugues du lycée, par une clôture cassée, s'asseoir dans le parc le plus proche et sécher un cours. Les raids au kebab d'en face, pendant la pause méridienne, parce que trop de monde au self. Les heures passées à attendre le bus en fin de journée. Les au revoir, à demain précipités sur le trottoir, parce que, même si on faisait semblant de se moquer de tous ces trucs trop sérieux, il fallait bien rentrer faire nos devoirs.
On était presque des adultes, on n'avait aucune obligation, mais une foule de possibilités. J'imaginais la vie comme une grande montagne à gravir, chargée de surprises que j'avais hâte de découvrir.
Parfois, penser à tout ça me met même en colère. Pourquoi ce temps est-il déjà révolu ? Pourquoi ai-je le sentiment d'être passée à côté ? D'avoir laissé filer ces moments si prometteurs ? Si je pouvais tout recommencer maintenant, avec mon expérience, je vivrais tellement plus fort.
L'apparition de Charles était peut-être le signe que j'attendais. Merci Mark Z. Reconnaissance éternelle au Dieu de Facebook et à son algorithme qui semble lire en moi et m'apporter ce dont j'ai besoin.
Mais qu'est-ce que tu racontes ? Et Julien ?!
Oups ! Encore une fois, mes pensées se sont égarées. Julien, Julien, Julien ! Mon mari, que j'aime. Reste dans ma tête, s'il te plaît.
Mais ce regard...
Non, non et non ! Je suis en couple et je compte bien le rester.
L'herbe n'est pas toujours plus verte ailleurs.
Un tiens vaut mieux que deux, tu l'auras.
On sait ce qu'on perd, on ne sait pas ce qu'on retrouve.
En mode autopersuasion, j'essaye de me convaincre que tout n'est pas perdu. J'ai fait une erreur. OK. C'est encore rattrapable.
Si Charles ne répond pas, ou s'il ne voit plus du tout qui je suis, je ferais comme s'il ne s'était rien passé et les choses en resteront là. Après tout, j'ai quand même changé de nom, et un peu de physique en 8 ans. Allez, on y croit et on oublie ce moment d'égarement.
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Des années plus tard
General FictionBrune trouve que sa vie manque de piment. Un amoureux un peu trop amoureux, un travail tranquille, du temps libre. Elle a tout pour être heureuse. Et pourtant, elle ne l'est pas. Jusqu'au jour où, en scrollant sur Facebook, elle tombe par hasard sur...